Le libéralisme hongrois et la Constitution féodale

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441Le libéralisme hongrois et la Constitution féodale
Le mouvement hongrois de Transylvanie est organiquement lié à celui de Hongrie dont il est un prolongement particulier, encore qu’autonome. En Hongrie, la politique de réformes libérales repose sur une base plus solide. La noblesse moyenne y est plus musclée. De par sa condition sociale, elle peut s’imposer en tant que force principale d’une réforme politique et sociale globale, fière de jouer le même rôle que la bourgeoisie d’Europe de l’Ouest, celui de Tiers Etat. Cette couche constitue une particularité hongroise à nulle autre pareille ni par l’ampleur de l’autonomie intérieure dont elle jouit, ni par le pouvoir administratif qu’elle détient dans les comitats. Le découpage en comitats, essentiellement décentralisateur, permet de concerter et de rendre efficace les pas d’un mouvement dirigé contre le pouvoir central.
En Transylvanie, si la noblesse moyenne passe pour faible, l’aristocratie locale est bien plus qu’en Hongrie profondément impliquée dans le mouvement de réformes. D’où la tentative de certains dénonciateurs d’esprit conservateur de discréditer le mouvement de réformes transylvain en le qualifiant de machination d’aristocrates. Or, en réalité, la poignée d’aristocrates qui possèdent les plus grands latifundia sont conservateurs et, pour la plupart, fort endettés. La majorité des aristocrates locaux, par contre, ne peut généralement accéder qu’à des revenus comparables à ceux que touche en Hongrie la noblesse moyenne. En revanche, ils jouissent d’une influence sociale autrement considérable. Des liens de parenté les rattachent à la petite et moyenne noblesse, force vive de la politique au niveau du comitat. Dans les collèges, les jeunes aristocrates sont entrés en rapports étroits avec le corps des professeurs et avec l’ensemble de l’intelligentsia. Or, la culture apparaît désormais comme une force capable de structurer des groupes sociaux et de redéfinir la stratification traditionnelle de la société féodale.
Il n’est nullement un hasard si le terme d’intelligentsia, voué à une grande carrière dans le vocabulaire de l’époque, émerge vers cette époque-là. Notons cependant qu’en Transylvanie on ne voit pas apparaître le groupe comparable à l’intelligentsia classique mais réduite à une position marginale, qui marquera si fort le développement polonais et russe. Tout au plus en voit-on se dessiner les contours. Le Polonais trouve sa vocation à tenir en éveil l’idée de liberté nationale, alors que le Russe se caractérise par une attitude critique n’allant souvent de pair qu’avec une contemplation impuissante de l’ordre établi. Or, en Transylvanie, tous ceux qui assument un rôle d’intellectuel auront la possibilité, lors des grandes luttes pour la transformation bourgeoise, d’occuper le devant de la scène.
Il n’en reste pas moins que les institutions féodales assurent seulement la possibilité d’initiatives et non les cadres d’une politique cohérente de réformes. Le pouvoir central parvient mieux en Transylvanie qu’en Hongrie à subordonner les comitats à ses ordres. Le comitat transylvain n’a pas le droit de lever des taxes aux fins de son propre financement; une certaine somme lui est allouée par le Gubernium. Lors des renouvellements des fonctionnaires, l’assemblée nobiliaire élit trois candidats représentant les trois religions reçues, quitte à s’en remettre au choix définitif du pouvoir central qui en nommera un seul. Et pourtant, l’autonomie des comitats que nous venons d’évoquer permet une résistance soutenue face à l’administration. Les assemblées réunissent parfois des masses de 3 à 4 mille électeurs. Le droit de pouvoir élire des fonctionnaires à la tête de l’administration et de la justice locales, ainsi que des députés à la Diète, alimente, même chez les petits hobereaux illettrés 442et privés de toute expérience politique, le besoin de participation à la vie publique.
La Diète transylvaine, plus encore que son homologue de Hongrie, favorise, par sa structure, la politique de réformes libérales. Face au bicaméralisme hongrois, l’assemblée transylvaine est monocamérale. Les a régalisten» nommés par le souverain – choisis pour la plupart parmi les aristocrates et (dans un souci d’équilibre) les nobles moyens – sont, avec les magistrats disposant du droit de vote et les membres du gubernium, majoritaires à la Diète (200 à 230 voix). En revanche, l’initiative appartient, essentiellement grâce à leur supériorité intellectuelle et morale, aux élus des comitats et des districts (36 personnes). Ne sont-ils pas les représentants du «peuple»? Il leur est facile de gagner les élus des «sièges» sicules, ainsi que ceux des villes (de 36 à 38 personnes) qui ont le droit de vote à titre personnel, alors qu’en Hongrie, leurs confrères ne disposent que d’une seule voix, collective. Le cas échéant, ils peuvent également compter sur les élus des «sièges» saxons (22 personnes) sans parler du fait que tous les «régalistes» ne sont pas conservateurs.
Depuis 1811, le pouvoir central n’avait pas convoqué la Diète, alors que les lois fondamentales lui faisaient obligation de la convoquer chaque année. Par cette violation de la Constitution, l’absolutisme bureaucratique se dénude lui-même: aussi devient-il la cible de l’ensemble de la société nobiliaire mobilisée contre lui.
La noblesse libérale soutient les éléments bourgeois et intellectuels soucieux de démocratiser la vie publique municipale et la participation aux organismes représentatifs, face à l’oligarchie des bureaucrates, qui, jalouse de son pouvoir, se livre à des intrigues politiques. A cette époque, une partie considérable de la noblesse foncière est déjà urbanisée. Ce sont justement leurs hôtels privés qui donnent à Kolozsvár un caractère de «capitale». Comme le noble non assujetti à l’impôt à la campagne est contraint à en payer en ville, la noblesse citadine s’intègre dans la vie municipale en acquérant droit de cité en maints endroits. Des casinos à vocation politique se créent afin de réduire, à force de propager le mode de vie bourgeois, les différences traditionnelles entre nobles et roturiers. Grâce au rôle et à l’autorité, dans les villes, de l’aile libérale de la noblesse, on voit s’accroître, face à l’ensemble de la noblesse, le prestige des villes hongroises.
Le mouvement de réformes transylvain dénote une singulière dualité: les libéraux ne revendiquent, comme programme politique, que la restitution et la corroboration de la Constitution féodale, en y ajoutant de plus en plus fréquemment l’exigence de voir s’affermir les libertés démocratiques bourgeoises. Ils réclament une démocratie nobiliaire dans le seul but de la transformer en démocratie bourgeoise libérale. Ce double caractère du libéralisme hongrois de Transylvanie est incarné par la personne du baron Miklós Wesselényi. Dans les années 1820, ce dernier organise encore la résistance de la noblesse contre l’établissement du «terrier», registre dénombrant les biens qui relèvent d’une seigneurie. Dix ans plus tard, il entre en scène comme un des chefs de file et maîtres à penser de l’opposition réformiste en Hongrie. Il est de ceux qui rattachent la réforme globale de la société aux revendications d’autonomie constitutionnelle de la Hongrie. On le trouve parmi les promoteurs de ce qu’on appelle communauté d’intérêts, et qui se propose d’intéresser au même titre seigneur terrien et serf à la transformation nationale bourgeoise. Dans son livre Des préjugés (qui, en raison de la censure, ne verra le jour que deux ans après son achèvement, en 1833, à l’étranger: à Leipzig), il propose, avec un radicalisme dépassant de loin celui de ses contemporains, 443que soit promulguée une réglementation valable pour l’ensemble du pays qui régisse les conditions et le montant du rachat que le serf devra, pour accéder au statut de propriétaire libre, à son seigneur à la place de la corvée et du champart. Et, tandis qu’à la Diète de Pozsony, réunie en 1832, il déploie une intense activité en faveur de la réforme sociale, il représente, en Transylvanie, la politique dite des récriminations qui cherche réparation aux violations de la Constitution féodale. En luttant pour les libertés nobiliaires, il acquiert une cote de popularité très marquée, en particulier dans le pays des Sicules, alors en effervescence.
Les libéraux hongrois de Transylvanie se rendent bien compte de la nécessité de faire appel au soutien des masses tout en s’accomodant des possibilités du jour. Professeur à Nagyenyed, Károly Szász qui s’ingénie à formuler tous les arguments historiques et juridiques d’une opposition protestataire, dit bien: «nous ne saurions qu’avancer pas à pas. Celui qui, sortant des rangs, se lance trop loin, n’entraînera pas les masses et payera cher son audace irréfléchie. En revanche, celui qui garde le rang, peut, en encourageant ses pairs, accélérer leur marche».*
KÁROLY SZÁSZ, Oskolákról (Des écoles), Nemzeti Társalkodó, 1841, semestre II, n° 2.
Dans la vie intellectuelle, il est aisé de détecter la filiation allant des idées des Lumières au libéralisme, mais aussi les innovations. Traducteur de Goethe et de Schiller, l’unitarien Sándor Bölöni Farkas qui, vers la fin de la décennie 1820, pense encore «faire davantage»* en rédigeant pour la première fois en hongrois le menu d’un repas, c’est-à-dire par la magyarisation du mode de vie, qu’en publiant un ouvrage théorique, accédera, quelques années plus tard, à la popularité par un Voyage en Amérique du Nord. Jusque-là, l’Amérique était synonyme, dans la mentalité transylvaine, de pays de la liberté de religion, et voici qu’elle apparaît comme A pays de la raison».* Les comptes rendus objectifs font l’effet d’une profession de foi politique qui tend à prouver que G seule la liberté mûrit l’homme pour être libre et cultivé».*
Lettre de Sándor Bölöni Farkas à József Gedő, 11 mars 1829. Citée par ELEK JAKAB, Bölöni Farkas Sándor és kora (S. B. F. et son époque), Keresztény Magvető, 1870, 277.
SÁNDOR BÖLÖNI FARKAS, Utazás Észak-Amerikában (Voyage en Amérique du Nord). Édité et préf. par SAMU BENKŐ, Bucarest, 1966, 274.
Du journal de Bölöni Farkas: ibid. 51.
Sándor Bölöni Farkas incarne la tendance radicale et démocratique du libéralisme. Ce n’est pas un hasard si, dans le développement de ce mouvement les unitariens jouent un si grand rôle. Ceux-ci ne représentent qu’à peu près 10 pour cent des Hongrois de Transylvanie, mais leur réseau scolaire bien organisé leur assure une sérieuse mobilité sociale. Et, comme la religion unitarienne se trouve en dernière place parmi les religions légalement reconnues, lors de la nomination des fonctionnaires, ses adeptes sont régulièrement évincés. La conscience de cette condition minoritaire et la théologie qui apparente cette religion au déisme rendent les unitariens plus réceptifs au rationalisme et au libéralisme.
Les calvinistes constituent le plus grand et le plus fort tronc de la population hongroise de Transylvanie. Il s’ensuit que la réorganisation de l’Eglise réformée aura, dans l’esprit de l’époque, valeur d’expérience pour la mise en place d’une communauté plus démocratique. Lors des élections au Consistoire, chaque chef de famille réformé est doté du droit de vote et la chance est même accordée aux roturiers de se faire élire comme «patrons» au scrutin à deux tours. Comme cette réorganisation s’inspire délibérément de l’exemple de la Constitution nord-américaine, le gouvernement est profondément angoissé de 444voir, en cas de victoire de l’opposition, transformer dans ce même esprit le droit public transylvain.
Sous la pression de l’agitation politique et sociale hongroises, et pour la contrebalancer, l’administration de Vienne se résigne finalement, en été 1834, à convoquer la Diète. Envoyé sur place comme commissaire royal représentant la volonté et la personne du souverain, l’archiduc Ferdinand d’Este avertit aussitôt la Cour que, dans l’hypothèse où la noblesse s’aviserait de se soulever, on pourrait compter sur une terrible révolte de la paysannerie roumaine. Il adresse le même avertissement à l’opposition. Or, dès le début, les dissensions au sujet de la procédure s’affirment avec une telle force que la dissolution de la Diète est inévitable. Le gouvernement voit davantage de péril du côté du «parti libéral doctrinaire» que de la part des radicaux dont le chef de file est Miklós Wesselényi. Etant donné qu’il a installé une imprimerie lithographique et entrepris la publication des discours, l’opinion croit que la dissolution a été provoquée par ce dernier. En réalité, le souverain l’avait précédemment ordonnée et le chancelier Metternich, prompt à voir dans toute prétention constitutionnelle d’esprit libéral l’élément d’un complot pan-européen, entendait maintenant donner un exemple spectaculaire de répression. Un grand nombre de gens sont cités devant le tribunal. Quant à Wesselényi, il est inculpé et condamné à la prison simultanément «dans les deux patries sueurs». Une partie notable de la société nobiliaire transylvaine répond aux représailles par la résistance passive, jusqu’à ce que le gouvernement ne soit amené à prendre lui-même l’intiative de concessions apparentes.
En 1837, une nouvelle Diète nationale est convoquée. Cette fois, plusieurs élément essentiels de la constitutionnalité féodale sont observés, avant tout l’élection des dignitaires. Dans un premier temps, les deux parties évitent tout conflit majeur, mais l’opposition remporte cependant une victoire morale l’archiduc Ferdinand, proposé à la dignité de gouverneur, obtient peu de suffrages et, humilié, doit quitter la Transylvanie.

 

 

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