La dernière tentative dualiste: les négociations d’István Tisza avec les Roumains

Teljes szövegű keresés

La dernière tentative dualiste: les négociations d’István Tisza avec les Roumains
La chute du gouvernement de coalition et la nomination du comte Károly Khuen-Héderváry comme premier ministre, en janvier 1910, marquèrent un tournant dans l’histoire politique du dualisme. Pour surmonter la crise de politique intérieure, qui durait depuis si longtemps, un nouveau parti gouvernemental adoptant le programme de 1867 commençait à se former et réunissait toutes les forces conservatrices.
Les Hongrois de Transylvanie étaient eux aussi fatigués de la coalition, et les nationalités considéraient le nouveau cabinet comme composé d’hommes de la Cour. Elles attachaient de grands espoirs à leur arrivée au pouvoir d’autant que l’héritier du trône attendait du nouveau premier ministre la réalisation de sa propre politique. Le gouvernement avait soin de nourrir leurs espoirs. L’application de plusieurs peines politiques fut suspendue et nombre de procès de presse furent arrêtés. L’usage du tricolore roumain fut tacitement permis et la cour suprême stipula qu’il n’était plus interdit de chanter publiquement le chant «Eveille-toi, Roumain», considéré comme l’hymne national roumain. La politique scolaire rattachée au nom d’Apponyi fut elle aussi reconsidérée.
Le groupe de Tribuna d’Arad réagit favorablement aux premières mesures prises par le nouveau gouvernement. Il reconnut que le comte Khuen-Héderváry aurait besoin, dans sa lutte menée contre l’opposition indépendantiste hongroise, de l’aide des nationalités. Encouragés par le parti libéral de Bucarest, les tribunistes sollicitaient un «accord honnête» et se mirent à s’organiser. Les dirigeants du comité national attendaient beaucoup de ces changements. Khuen les assura que le gouvernement ne voulait pas écraser les nationalités aux élections. Selon la rumeur, les Roumains auraient promis de soutenir le gouvernement dans 60 circonscriptions, et le gouvernement leur aurait offert 595en échange un subside considérable pour les élections: 60 à 100 000 couronnes dans certaines circonscriptions.
Ioan I. C. Brătianu, le chef de file des libéraux de Bucarest, fit également envoyer une somme importante au parti roumain qui pouvait compter sur la bienveillance de Khuen ainsi que sur l’aide de François-Ferdinand et du cercle du socialiste-chrétien viennois Lueger. Le parti roumain proposa 33 candidats dans 37 circonscriptions. La cohésion intérieure faisait cependant grandement défaut. Maniu, qui gardait la tête froide, eut beau mettre en garde: «Ne croyez pas, je vous prie, les rumeurs mensongères – dit-il à ses électeurs d’Alvinc – qui prétendent que nous, anciens députés roumains, en particulier aurions conclu un pacte quelconque avec le nouveau gouvernement …»*
Tribuna, 4 juin 1910.
Les élections de 1910 furent, surtout dans les régions hongroises, particulièrement houleuses. Le Parti National du Travail, créé par le comte István Tisza, voulait remporter une victoire qui lui permît d’anéantir plusieurs adversaires parlementaires, dont les nationalités, et qui pût empêcher la formation d’un bloc de députés puissant dévoué à François-Ferdinand. En conséquence de l’évolution d’une opinion publique déçue par le nationalisme tapageur de la coalition, le Parti du Travail remporta une grande victoire. Tisza déclara en privé: «Que vienne donc l’héritier du trône!»
Parmi les candidats roumains seuls cinq furent élus dans trois circonscriptions où il n’y avait pas d’adversaires. Par contre, neuf candidats roumains parvinrent à la Chambre des Députés sur la foi du programme du parti gouvernemental. La surprise fut si grande que, dans un premier temps, le parti roumain ne tenta même pas d’attribuer l’échec à la terreur gouvernementale. «La violence ne nous a enlevé tout au plus que deux sièges dans les élections, écrivait un de leurs journaux plus modérés, dans plusieurs circonscriptions nos députés ont perdu malgré les milliers de votes roumains.»* Le journal de l’évêché de Nagyszeben qui prônait le compromis, écrivait tout simplement que le peuple s’était opposé à un programme irréalisable.
Libertatea, 4 juin 1910.
Le comte István Tisza, «l’homme providentiel» des classes dirigeantes hongroises, avait, avant les élections, pris position en faveur de l’accord hungaro-roumain. Son discours fut chaleureusement accueilli par les journaux roumains; l’Unirea de Balázsfalva le compara à Deák, à celui qui prenait le parti des nationalités. En juillet, Tisza réitéra sa position devant le parlement. Le parti national roumain l’accepta en tant que point de départ, et consentit à ce que Mihu, qui avait déjà proposé un nouveau programme pour les Roumains en 1902, entamât des négociations avec lui. Lors du premier entretien, Tisza accepta, à la différence de sa position antérieure, le statut séparé du parti roumain et admit que les dirigeants de ce parti prissent part aux négociations et que l’accord éventuel fût ratifié par un congrès national roumain. La direction du parti formula ses revendications. Elle décida pour le cas où le gouvernement satisferait à leurs demandes, d’être «plus réservé» au parlement et d’élaborer un nouveau programme.
En automne 1910, le parti national roumain fit parvenir à Tisza un mémorandum contenant ses revendications politiques, économiques et culturelles. Ces revendications, formulées en 23 points, portaient sur l’élargissement du droit électoral; des sièges garantis dans 50 circonscriptions; l’usage 596officiel systématique de la langue roumaine; l’établissement d’un nombre minimum obligatoire de fonctionnaires roumains; la fondation de trois évêchés roumains; la révision de la loi Apponyi; l’augmentation de la subvention affectée à des fins culturelles roumaines; l’établissement de trois lycées d’Etat roumains et l’extension du «programme sicule» à des régions roumaines en vue de favoriser leur développement économique. En revanche, le parti roumain promit d’accepter le Compromis de 1867 sans s’engager à soutenir la politique du gouvernement. Tisza et Khuen ne pouvaient pas accepter cette position, mais l’admettaient comme une base de discussion. Le parti roumain constitua une commission destinée à mener les négociations, mais les membres de la commission ne purent se mettre d’accord entre eux. Maniu et Vlad se refusaient même à reconnaître le statu quo juridique, et Mihu, à son tour, exaspéré par la dissension et les revendications de plus en plus poussées, se retira. Comme les divers groupements paralysaient avec leur propagande les négociations et que le gouvernement soupçonnait à juste titre que les dirigeants des Roumains n’étaient pas maîtres de leur propre camp, il fut d’une importance vitale de mettre fin à l’activité fractionnelle.
Le groupement le plus fort était celui des tribunistes d’Arad, qui était marqué du nom du célèbre poète Octaviais Goga. Celui-ci s’était fait une célébrité des deux côtés des Carpates grâce à la revue Luceafărul qu’il avait lancée en 1902, à Budapest, puis à sa revue littéraire et politique, Ţara Noastră. Goga attaquait, dans une série d’articles sévères, le comité national, jugé responsable de l’échec électoral, et souligna la nécessité de son renouvellement. Les «jeunes d’acier» qui suivaient Goga, voulaient former une organisation de masse et éviter toute influence étrangère, hongroise ou «judéohongroise». Ils commencèrent à développer un système d’idées politiques, marqué par le messianisme, empreint de mysticisme religieux et d’anticapitalisme conservateur, mais teinté de démocratisme et influencé par la sociologie et le radicalisme bourgeois hongrois de l’époque.
Les dirigeants du parti commencèrent d’abord des tractations, puis condamnèrent dans une résolution l’activité fractionnelle et finirent par créer un journal officiel du parti, également à Arad. C’était le Românul, qui parut dès le début de 1911, animé par un tribuniste dissident, Vasile Goldiş. Le nouveau journal poursuivait un seul but: détruire le Tribuns. La campagne de presse qui alla jusqu’aux attaques personnelles les plus grossières tourna à une chasse à l’hérétique que les journaux hongrois commentaient non sans joie maligne. Ce fut Bucarest qui finit par se charger de dénouer la crise. En mars 1912, C. Stere, l’homme de confiance des libéraux de Bucarest, se rendit à Arad et liquida le Tribuns avec de dures méthodes. La propriété du journal et son capital furent transférés au comité; le Tribuns fut absorbé par le Românul. Le mouvement tribuniste, qui avait duré 25 ans, toucha à sa fin. L’aile plus démocratique succomba, mais la liberté de manœuvre et de compromis du comité s’en trouva accrue.
La vie publique roumaine s’était animée en Transylvanie, en partie sous l’effet de ces luttes intérieures. A partir de 1910, nombre de meetings politiques furent organisés, et l’activité des associations connut une période de prospérité. Le 50e anniversaire de l’ASTRA donna l’occasion d’une manifestation politique panroumaine de grande envergure dans laquelle l’aviateur transylvain, Aurel Vlaicu, qui avait essayé de survoler les Carpates, joua un rôle symbolique.
La deuxième partie des négociations entre le gouvernement du Parti du Travail et les Roumains de Transylvanie fut en partie entamée à l’instigation 597de Bucarest. En janvier 1913, Mihali, Maniu et Branişte transmirent les revendications du parti roumain formulées en ii points, qui avaient été rédigées, sur les conseils de l’héritier du trône François-Ferdinand, de façon que l’accord éventuel «puisse à n’importe quel moment être déclaré nul et invalide, pour manquement de la part des Hongrois».* Ils revendiquaient l’enseignement du roumain à tous les niveaux dans les écoles d’Etat et communales, l’usage du roumain comme langue administrative et juridique, la liberté de réunion et de presse et, finalement, la part proportionnelle des mandats électifs. La réponse de Tisza fut, sans doute sous l’effet de l’accroissement sensible des revendications, très réservée. Il promit seulement de remédier aux griefs ecclésiastiques et administratifs les plus immédiats et de faire des concessions économiques. En accord avec l’héritier du trône, les Roumains interrompirent les négociations.
Lettre du 23 janvier 1913 d’Alexandru Vaida-Voevod. Kriegsarchiv, Vienne, Militärkanzlei Franz Ferdinand, Rumänische Akten, 303/9.
La troisième série de négociations commença à l’automne de 1913, sur un fond de grande tension internationale, après la paix de Bucarest qui marqua la fin de la guerre des Balkans. Nommé entre-temps premier ministre, Tisza négocia de nouveau avec les trois délégués qui, profitant du soutien accru de la Roumanie renforcée et de l’héritier du trône impérial, renchérirent encore sur leurs revendications. Tisza fut plus conciliant lui aussi: il donna l’assurance pour l’usage écrit et oral de la langue maternelle dans l’administration et la juridiction de première instance; l’obligation des fonctionnaires de passer un examen de la langue de la région administrée et l’extension de l’enseignement de la langue roumaine. Il promit également un lycée d’Etat roumain, l’augmentation de la subvention de 7 millions de couronnes, affectée à des fins culturelles roumaines et, enfin, l’attribution de 30 circonscriptions à des députés roumains, ainsi que la «reconsidération» de la loi Apponyi. Mais les conditions de Tisza étaient lourdes. Il demandait que le parti roumain, renonçant à ses anciens griefs, acceptât sans réserves le statut existant de l’Etat et qu’il considérât l’accord comme une solution durable. Tisza destinait le pacte à être un règlement plus ou moins définitif de la question roumaine.
Le parti roumain se trouvait devant un grave dilemme. Il ne pouvait pas mettre en doute le sérieux des intentions de Tisza. Bucarest sollicitait l’accord, Vienne demandait elle aussi une sorte de pacte et la bourgeoisie roumaine aspirait également à établir de bons rapports avec le gouvernement. Le parti roumain aurait accepté l’offre de Tisza si celui-ci ne lui avait pas demandé de renoncer à la négation du dualisme, comme on disait, «la déclaration de renonciation». Les dirigeants du parti souhaitaient l’accord, mais ils n’osaient pas en assumer les conséquences. Ils auraient voulu rester opposants. Leur hésitation était nourrie par François-Ferdinand qui avait promis aux Roumains un rôle décisif sous son règne dont la venue semblait de plus en plus imminente. Cela explique en partie l’accroissement de leurs exigences qui culminèrent, en 1913, dans la revendication d’un poste de ministre roumain sans portefeuille et de deux postes de secrétaire d’Etat. Le premier ministre hongrois fit alors de nouvelles concessions. Voyant le dessous des cartes de l’héritier du trône, il abandonna, en bon tacticien, sa dernière prétention: il ne voulait plus faire accepter aux Roumains le statu quo comme définitif et ne tenait pas non plus à «la déclaration de renonciation». Par là, il déclina au préalable toute responsabilité de l’échec. Il ne resta au Belvedere qu’à révéler 598son vrai jeu. En décembre 1913, leur position était que «de compromis devra absolument se réaliser».* Au mois de janvier de l’année suivante, l’héritier du trône affirma qu’il avait consenti aux négociations à contre-coeur, seulement sous l’effet de la situation internationale: «En effet, je suis contre le compromis parce qu’il risque de faire rentrer nos Roumains dans le camp des Hongrois antidynastiques, ce qui constituerait, à l’avenir, un grand péril pour moi.»* L’ordre fut donné qu’il ne fallait pas chercher le compromis à tout prix, ce qui vint à propos au comité national roumain toujours hésitant. Lors de la séance du 17 février 1914, la résolution fut prise que l’offre de Tisza «est impropre à vider le différend, même pour une courte période, entre la politique du gouvernement de l’Etat hongrois et les Roumains».*
Note du 30 décembre 1913 de Carl von Bardolff à l’intention du prince héritier. Kriegsarchiv, Vienne, Militärkanzlei Franz Ferdinand, Rumänische Akten, non numéroté.
Brouillon de lettre de janvier 1914 de François-Ferdinand à Czernin. Kriegsarchiv, Vienne, Militärkanzlei F. F., Rumänische Akten, non numéroté.
Cité dans Magyarország története (L’histoire de la Hongrie) 1890-1918. Sous la dir. de PÉTER HANÁK (Magyarország története tíz kötetben – L’histoire de la Hongrie en dix volumes) 7., Budapest, 1978, 853.
Si, jusqu’en 1913, les hommes politiques de Roumanie avaient poussé les Roumains de Transylvanie à se mettre d’accord avec le gouvernement hongrois, à ce moment-là seul le vieux roi Charles les y invita. Tisza prit conscience de l’échec. Il écrivait à Mihali: a Hélas, je n’ai guère l’espoir d’atteindre notre but, mais je constate avec plaisir que vous voyez vous aussi un progrès et un rapprochement considérables.»*
Lettre de Tisza à Mihali, 12 février 1914. Cité par FERENC PÖLÖSKEI, Tisza István nemzetiségi politikája az első világháború előestéjén (La politique minoritaire d’István Tisza à la veille de la Première guerre mondiale), Sz, 1970, n° 1.
Au début de 1914, échoua la dernière tentative qui se proposait, conformément aux rapports de forces du régime dualiste, d’intégrer les Roumains, à la manière des Saxons, dans la vie politique de Hongrie.
Les négociations officielles hungaro-roumaines se poursuivaient à l’exclusion des hommes politiques hongrois de Transylvanie. En effet, le problème de la Transylvanie avait depuis longtemps dépassé les luttes pour la suprématie entre Hongrois et Roumains transylvains. L’attitude des Hongrois et leurs vues étaient avant tout caractérisées par l’angoisse, état d’âme qui s’aggrava en 1913 quand, à l’issue de la paix de Bucarest qui mettait un terme à la deuxième guerre des Balkans, la Roumanie devint une «puissance naissante» de l’Europe du Sud-Est. Les hommes politiques hongrois de Transylvanie savaient qu’il fallait régulariser la situation des Roumains, mais ils ne savaient pas comment y parvenir. Ils trouvèrent même excessives les concessions faites par Tisza, comme le montrent les discours d’István Bethlen et de Zoltán Désy, prononcés à l’occasion de la discussion parlementaire tenue sur ce sujet fin 1913-début 1914. Le premier voulait résoudre le problème par un refus catégorique et le second par une démocratisation générale.
Le camp des progressistes hongrois, le Parti Social-Démocrate et les radicaux bourgeois en particulier, étaient pleinement conscients du fait que les problèmes des minorités devaient être réglés d’urgence mais ils ne savaient pas en réalité que faire des négociations. Les socialistes les considéraient, conformément à la conception de l’époque, comme le combat du progrès et de la réaction. Ils croyaient voir se constituer un bloc conservateur englobant depuis Tisza jusqu’aux partis des nationalités. Les radicaux bourgeois étaient 599à peu près du même avis. Oszkár Jászi était le seul à examiner le problème comme conséquence caractéristique de l’évolution non linéaire.
Au début de 1914, nombre de gens espéraient que l’accord pourrait être conclu avec Tisza, ou plutôt sans Tisza, attaqué de toutes parts. Mais l’arrivée de la guerre mondiale créa une situation historique toute nouvelle.

 

 

Arcanum Újságok
Arcanum Újságok

Kíváncsi, mit írtak az újságok erről a temáról az elmúlt 250 évben?

Megnézem

Arcanum logo

Az Arcanum Adatbázis Kiadó Magyarország vezető tartalomszolgáltatója, 1989. január elsején kezdte meg működését. A cég kulturális tartalmak nagy tömegű digitalizálásával, adatbázisokba rendezésével és publikálásával foglalkozik.

Rólunk Kapcsolat Sajtószoba

Languages







Arcanum Újságok

Arcanum Újságok
Kíváncsi, mit írtak az újságok erről a temáról az elmúlt 250 évben?

Megnézem