La population: Daces et colons

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La population: Daces et colons
Eutrope signale, à propos de la population de la province, qu’ «après la conquête de la Dacie, Trajan y fit venir de tous les coins du monde romain d’énormes masses de populations destinées à peupler les campagnes et les villes, puisque les hommes, à la suite des longues guerres de Décébale, y faisaient défaut» (VIII, 6, 2). L’historiographe établit ainsi une relation de cause à effet entre la diminution de la population indigène par suite de la guerre de conquête et le repeuplement entrepris par Trajan. Or, la transformation des territoires occupés en provinces romaines s’effectuait généralement 51par l’installation de vétérans dotés de terres, qui étaient suivis de leurs familles et de marchands. Ainsi, s’il ne s’était agi que de cela en Dacie, Eutrope n’eût pas dû insister. Il soulignait cependant le dépeuplement de la province, dû au dépérissement de la population dace.
Le sort de la population d’un territoire nouvellement acquis dépendait essentiellement de la manière dont Rome en avait pris possession. Lorsque l’annexion se faisait sans résistance armée, les pertes humaines des indigènes étaient négligeables. Or, ce n’était pas le cas en Dacie: le pays avait été incorporé dans l’Empire romain après deux lourdes guerres et des hostilités longues d’un siècle et demi, à l’occasion desquelles les Daces s’étaient attiré la haine des Romains (Cassius Dio, LXVII, 6, 1 et 6, 5). Les menées de Décébale les firent, après la première guerre, encore davantage exécrer; à leurs yeux, ce fut le parjure du roi qui conduisit à la reprise des hostilités. D’autres agissements de Décébale confirmèrent encore les Romains dans leur conviction qu’ils avaient affaire à un adversaire déloyal: il s’employa à gagner à sa cause le prisonnier Longinus, puis, lorsque celui-ci fit marche arrière, «il eut l’audace de réclamer, contre la libération de Longinus, le territoire allant jusqu’à Istria ainsi que des dommages de guerre». Sachant que Trajan ne pouvait satisfaire ces revendications, Longinus réduisit à néant les projets de Décébale en se donnant la mort (Cassius Dio, LXVIII, 12, 1-5). Décébale recourut alors à des sicaires pour tenter de faire assassiner Trajan à son quartier général de Mésie (Cassius Dio, LXVIII, 11, 3).
Ces actions du roi dace ne manquèrent pas de laisser des traces profondes dans l’esprit des Romains, si bien qu’elles allaient déterminer pour plusieurs siècles l’image que ceux-ci se faisaient des Daces. Il n’est donc pas étonnant que les Romains se fussent efforcés d’anéantir complètement les Daces. D’ailleurs, l’extermination de Barbares qui attaquaient l’Empire romain ne posait pas, à leurs yeux, de problèmes éthiques. Cette position, déjà affirmée par Auguste (Res Gestae Divi Augusti 3), déterminait l’attitude romaine dans la pratique. Marc-Aurèle envisagea lui aussi un temps l’anéantissement des Iazyges (Cassius Dio, LXXI, 15, 1-2). Bien entendu, cet anéantissement ne signifiait pas seulement la mise à mort des récalcitrants, mais aussi la vente du reste comme esclaves et éventuellement l’enrôlement forcé des hommes dans l’armée des provinces lointaines. Par conséquent, les Daces qui restèrent jusqu’au bout fidèles à Décébale ne pouvaient espérer la miséricorde des vainqueurs: aussi la colonne triomphale de Trajan représente-t-elle, entre autres, le suicide collectif de l’aristocratie dace. Après la victoire, 10 000 gladiateurs – vraisemblablement des prisonniers de guerre daces pour la plupart – luttèrent aux jeux de cirque de Rome durant 123 jours. Médecin de l’empereur, témoin et historiographe de cette campagne, Criton dit que les Romains firent un grand nombre des prisonniers et que Trajan – sans doute après la bataille finale – ne laissa la vie qu’à quarante d’entre eux. Bien que ces chiffres soient sans doute exagérés, ils sont néanmoins très révélateurs des relations daco-romaines et des pertes humaines subies par les vaincus.
Les hommes restés en vie furent enrôlés dans des troupes auxiliaires pour être envoyés en Britannia ou en Orient. Leur sort ultérieur nous est inconnu. Rien ne prouve qu’aucun d’entre eux fût rentré dans son pays comme vétéran. Pour prendre la mesure du dépeuplement, rappelons que la nouvelle province se constituait justement sur la partie centrale du royaume de Décébale, c’est-à-dire sur le territoire où les pertes humaines étaient les plus élevées et pas seulement à cause des guerres, mais aussi en raison de la fidélité à Décébale dont beaucoup firent preuve jusqu’au bout, voire jusqu’à boire la ciguë. Ce fut 52dans cette région que les victimes furent les plus nombreuses: ceux qui ne furent ni exterminés ni vendus comme esclaves se réfugièrent dans des territoires où les Romains ne pénétraient pas encore.
Une étape importante de la constitution des nouvelles provinces était l’incorporation des populations indigènes dans des organisations territoriales administratives appelées civitates peregrinae. Au début contrôlées par l’armée, ces civitates associaient cependant les chefs du peuple à la direction des affaires. Plus tard, la direction des civitates revenait à l’aristocratie tribale (principes), qui se voyait conférer d’importants privilèges. Instruments de la romanisation, les civitates constituaient également les noyaux des futures communautés urbaines. Or, rien ne prouve l’existence de ces structures en Dacie. Cela tient, sans doute, en partie à l’absence d’aristocratie tribale. Celle-ci avait en effet été liquidée sous l’autocratie de Décébale ou anéantie avec la «noblesse» dace pendant les guerres. Il est à cet égard très caractéristique qu’il n’existe qu’un seul nom de peuple ou de tribu de l’ancienne Dacie qui ait survécu à l’époque romaine: il s’agit du vicus Anar(torum), villages des Anartes en Transylvanie du Nord (CIL III, 8060). Mais les habitants de ce village étaient non des Daces, mais des Celtes soumis par ceux-ci. Le seul princeps dont le nom est connu (Aurelius Aper) n’était pas dace lui non plus, mais un chef de tribu originaire de Dalmatie (CIL III, 1322). La seconde cause de l’absence de civitates doit être recherchée dans la faiblesse numérique de la population locale. Aussi le gouvernement ne voyait-il pas la nécessité de mettre en place des structures administratives qui favorisassent la romanisation du reste des Daces, ce qui eut pour conséquence que ceux-ci demeurèrent tout à fait étrangers à la civilisation urbaine. Les inscriptions relatives aux corps municipaux ne contiennent en effet aucun nom «thraco-dace».
Les inscriptions et les données archéologiques nous permettent en général de connaître dans le détail la colonisation effectuée, comme dit Eutrope, «ex toto orbe Romano». Les premiers immigrants étaient les vétérans des légions qui, devenus citoyens romains, s’établirent en Dacie lors de la fondation de Sarmizegethusa Regia. Ceux dont les noms témoignent de leur origine italique étaient en partie d’anciens soldats des légions de Pannonie de l’Ouest ou de Mésie. Bien que les inscriptions ne mentionnent que très rarement que tel ou tel homme était originaire de Pannonie de l’Ouest ou du Noricum, la diffusion de certains anthroponymes typiques révèle leur origine. Les coutumes funéraires caractéristiques de la Pannonie et du Norique, la présence massive de certains objets typiques et surtout quelques traits particuliers des vestiges mis au jour en Dacie du Nord nous amènent à conclure au nombre très élevé des colons originaires de ces provinces.
Un autre groupe venu du Moyen-Danube était originaire de la Dalmatie et il s’était établi, au témoignage de leurs inscriptions, tribu après tribu, sur le territorium metalli. Beaucoup d’entre eux n’étaient pas encore des citoyens romains, seulement des peregrini. Vivant complètement isolés des autres peuplades, ils étaient les premiers à exploiter les mines (vicus Pirustarum) des Monts Métalliques. Nombre de descendants de ces peuples venus de Dalmatie, du Norique et de Pannonie accédèrent aux rangs de l’oligarchie municipale. De Pannonie et du Norique venaient non seulement des citoyens romains, mais aussi des hommes portant des noms celtiques (Bonio, Bucco, Cotu, Veponius).
L’armée romaine avait, dans une large mesure, contribué à la diversité ethnique de la province. Les troupes auxiliaires stationnant en Dacie comprenaient de nombreuses unités organisées sur des bases ethniques. Aussi est-il 53surprenant de constater que le nombre des noms de personne thraces, malgré les effectifs très nombreux des soldats d’origine thrace et des hommes venus des Balkans, était très bas. Cela s’explique sans doute par le fait qu’au terme de leur service, les hommes des provinces limitrophes enrôlés dans l’armée rentraient, au lieu de s’établir en Dacie, dans leur pays natal. Beaucoup d’entre eux venaient des provinces orientales ou du Sud des Balkans, c’est-à-dire de l’aire linguistique grecque.
Dans les contrées à configuration accidentée, les Romains employaient volontiers des unités spéciales, comme par exemple les archers de Palmyre. Trois détachements de ce genre, en dehors d’autres troupes syriennes (des archers pour la plupart) et de diverses unités de Commagène, stationnaient dans l’Ouest de la Dacie. Le chiffre de la population originaire d’Asie Mineure ne cessa, après les guerres marcomanes, de croître.
Nous possédons environ 3 000 noms de personnes authentiques de Dacie, dont les trois quarts (près de 2 000) sont des noms romains, à côté de 320 noms grecs (ou grecs orientaux), 120 noms illyriens, 70 noms celtiques et 60 noms sémitiques (ou syriens). Le nombre des noms thraco-daces est lui aussi de 60, c’est-à-dire seulement 2 pour 100 de l’ensemble des données onomastiques. Ce sont pour la plupart des noms thraces authentiques; ceux qui les portaient étaient sans doute originaires des régions situées au sud du Danube. Comme on n’est pas encore parvenu à distinguer avec certitude les uns des autres, les anthroponymes de ces deux peuples – dace et thrace – dont la parenté est encore sujet à discussion –, il semble préférable de les recenser ensemble. Ce qui est par contre certain, c’est que les noms de personne authentiquement daces (Bitus, Butus, Decebalus, Diurpanaeus, Sassa, Scorilo) se rencontrent justement non en Dacie, mais dans d’autres provinces de l’Empire romain, où les Daces étaient vendus comme esclaves. Au Norique, où la romanisation avait commencé un siècle plus tôt, les noms de personnes indigènes constituent pourtant 24 pour 100 de l’ensemble des données onomastiques. Il est donc évident que la participation des Daces fut, au point de vue de la romanisation de la province, minime.
L’établissement en Dacie des groupes humains originaires du Norique, de Pannonie et d’Illyrie est attesté par la présence d’un grand nombre de tumulus dans toute la province, notamment en Transylvanie. La coutume d’élever un tertre au-dessus des cendres des défunts brûlés au bûcher était particulièrement fréquente en Pannonie occidentale et dans l’Est du Norique. En dehors des tumulus, les vases d’argile (pots à trois pieds, couvercles en forme de plats, grands plats à parois verticaux) caractéristiques du Norique et de Pannonie, retrouvés près des corps témoignent encore des liens étroits entre le Norique, la Pannonie et la Dacie. Le plus grand cimetière de colons venus du Norique et de Pannonie se trouve à Szászhermány, où l’on a recensé 300 tumulus. D’autres encore se trouvent à Kálbor et à Magyarigen. A côté des tertres de terre, il en existe d’autres qui sont entourés de murs ou de remparts. Un des premiers exemples de ce dernier type a été mis au jour à Sarmizegethusa où un immense tumulus d’un diamètre de 21 mètres s’élève sur la tombe d’une fillette de la famille des Aurelius. Le petit cimetière de Csolnakos, dont les petits tertres sont entourés d’un mur rond, a son pendant à Carnuntum, en Pannonie occidentale (Deutschaltenburg).
En dehors des rites funéraires, nous avons très peu d’indications relatives aux croyances des peuples du Norique et de la Pannonie. Ceux qui venaient des pays celtiques et germaniques devaient apporter le culte de Sulaviae, d’Epona et d’Hercules Magusanus. La propagation du culte de Silvanus en 54Dacie témoigne peut-être d’influences pannoniennes. Un autel de Iuppiter Depulsor renvoie aux environs de Poetovio, en Pannonie du Sud-Ouest, où l’on a retrouvé des autels similaires dédiés à Jupiter protecteur; l’autel de Dacie est d’ailleurs l’œuvre d’un artiste de nom illyrien.
Les peuples venus du Sud et de l’Orient, notamment de Syrie, nous ont légué très peu d’objets usuels ou de parures, tandis que les vestiges relatifs à leur religion sont abondants. Il ne fait aucun doute que les dalles funéraires représentant le défunt au milieu du repas de funérailles ont une origine méridionale, et plus particulièrement grecque. La diffusion, notamment dans la partie méridionale de la province, des images de culte en marbre des divinités équestres du Danube remonte également à des influences méridionales. L’industrie céramique de la Dacie du Sud accuse des parentés avec celle de la Mésie.
Le nombre important des autels et des temples dédiés aux dieux de leurs pays (Diis patriis) par les peuples venus du Moyen-Orient témoigne de leur attachement à leur terre natale, aussi bien que de la solidité et de l’intimité de leur vie religieuse. Ils vénéraient avant tout la divinité principale de Doliche, qu’ils identifiaient à Jupiter et dont le culte se propageait en Dacie par d’innombrables autels et images consacrés à son culte. Les Palmyriens avaient leurs propres temples à Sarmizegethusa, à Porolissum et à Micia. Les origines et la variété des mythologies répandues dans la population sont révélées par les noms de nombreuses divinités orientales retrouvés dans les inscriptions (Iuppiter Tavianus, Erusenus, Mater Troclimene, Iupiter Heliopolitanus, Azizus, Bonus Puer, Balmarcades, Mabarazes, Malagbel, Bellahamon, Benefalarobolas).
La Dacie faisait partie des provinces latinophones: le latin étant la langue de l’administration, les inscriptions officielles étaient rédigées et gravées en latin. La diffusion du latin était promue par l’arrivée en Dacie de légionnaires et de colons venus d’Occident, pour peu qu’ils descendent de familles italiques et qu’ils parlent eux-mêmes cette langue. Pour ce qui est des Illyriens et des Celtes, il est fort peu probable qu’ils fussent parvenus à un haut niveau de romanisation, car ils avaient gagné la Dacie très tôt. Il se peut qu’ils aient parlé le latin, sans toutefois l’avoir complètement assimilé: ils auraient dû parvenir à une romanisation totale en Dacie. Tel fut le cas des Pirustes de Dalmatie. D’autres immigrants venaient de régions où la langue administrative était le grec. Une partie de ceux-ci arrivaient de territoires dont la population était peu hellénisée. Aussi parlaient-ils encore leur propre langue, comme par exemple les Galates. Beaucoup plus nombreux étaient cependant les Palmyriens (les archers et leurs familles), qui avaient leur écriture propre, dont ils se servaient éventuellement sur les inscriptions de Dacie. Quelque rares qu’elles soient, ces inscriptions ne sauraient être négligées, d’autant plus qu’elles sont complètement absentes chez d’autres communautés syriennes établies en Europe. Les inscriptions grecques sont assez fréquentes, et – ce qui n’est pas sans surprendre dans une province de langue latine – on les retrouve non dans une ville donnée, mais un peu partout en Dacie, tout comme les inscriptions en langue syrienne. Les textes en grec ou en langues orientales gravés sur les briques ou les parois des pots sont également fréquents. L’usage du latin et du grec était donc généralement répandu dans la province. Il est très significatif à cet égard qu’Apulum fût nommé «Ville d’Or» non en latin mais en grec (Chrysopolis) et qu’on se servît d’un vocable grec pour désigner le grand prêtre du culte impérial.
Les immigrants venus du Sud arrivaient de Thrace (où la langue officielle 55était le grec) et de Mésie (de langue officielle latine). Or cette dernière province était en réalité de langue mixte: on y parlait aussi le grec. L’arrivée des Thraces en Dacie ne devait pas favoriser la diffusion du latin: ils étaient pour la plupart des soldats, dont la langue de service était le latin, mais dont le pays natal faisait plus ou moins partie de l’aire de la langue grecque. Ils conservèrent longtemps leur langue maternelle: leurs noms très caractéristiques subsistèrent jusqu’aux débuts de l’époque byzantine. Par conséquent, les soldats d’origine thrace – qui, au début du IIe siècle, ne relevaient de Rome que depuis une soixantaine d’années – ne pouvaient pas avoir le latin comme langue maternelle en Dacie non plus. L’exemple des Thraces – un des peuples les moins romanisables de l’Empire – nous avertit que – en admettant la parenté thraco-dace – ce processus de romanisation devait se dérouler avec une pareille lenteur chez les Daces. Cela revient à dire que, dans la province romaine de Dacie – qui n’a existé que pendant 165 ans, c’est-à-dire beaucoup moins que toute autre province –, les indigènes ne pouvaient pas assimiler la langue latine.
La carte linguistique de la Dacie est, de ce fait, extrêmement complexe. La langue qui pouvait servir d’instrument à la création de l’unité linguistique était le latin, langue officielle de la province; il n’y avait cependant que les officiers de l’administratiton et de l’armée et la majorité des soldats de la seule légion qui y avait stationné avant 167 et de la seconde, arrivée après cette date, qui le parlaient – ou presque – comme leur langue maternelle. Pour que les indigènes fussent à même d’assimiler le latin, les immigrés auraient tout d’abord dû constituer de solides communautés de langue latine.
Les chances de romanisation de la population étaient donc assez limitées. Il semble même que le gouvernement romain fit en Dacie beaucoup moins d’efforts qu’ailleurs pour romaniser les indigènes. Or, il faut voir à ce propos quelle était la composition réelle de la population locale. Au témoignage des fouilles archéologiques, des restes de la population dace subsistaient encore dans la province. On a mis au jour un petit nombre de leurs colonies et cimetières, mais leur datation continue à poser des problèmes, et il n’est pas prouvé que toutes ces agglomérations restaient habitées après la conquête romaine. A Obrázsa, Maroslekence, Mezőszentjakab, Radnót et Segesvár, on a retrouvé des tombes rattachées aux villages indigènes. (Cependant, les inscriptions de celles de Segesvár portent uniquement des noms illyriens.) Les cimetières attribués à la population locale ne furent plus utilisés après l’évacuation de la province par les Romains. La plupart des ces cimetières contiennent d’ailleurs des tombes renfermant des cendres: après avoir incinéré les défunts à un endroit communément utilisé à cette fin, on mettait leurs cendres dans une fosse – généralement de forme ovale – creusée dans le sol, ou bien on les déposait dans des urnes. Ces dernières sont généralement attribuées aux Daces quoique, dans d’autres provinces, ce rite fût pratiqué par la population romaine. Plus rares sont les tombes dont les défunts avaient été brûlés au bûcher sur le lieu même de la sépulture – c’est le cas de la plupart des tumulus. Parfois les cimetières témoignent de la coexistence de divers rites. Les tombes à squelettes commencent à se multiplier dans les cimetières urbains à partir de la fin du IIe siècle (Apulum, Napoca).
Lors de l’examen ethnique de ces cimetières, il faut tenir compte de l’établissement dans la province de deux groupes connus de Daces libres, arrivés dans les dernières années du IIe siècle. Dans certains cimetières de Dacie (notamment à Mezőszopor), on a retrouvé des bijoux en argent attribuables aux Carps, établis au-delà des frontières orientales de la province.
56La matière archéologique provenant des Daces restés dans le pays après la conquête romaine est très pauvre: à côté des vestiges d’habitations et de cimetières, les fouilles ont seulement mis au jour quelques poteries. Ils n’ont laissé aucune inscription, pierre taillée, représentation vestimentaire, ni de bijoux. Les vestiges de leur civilisation matérielle se limitent presque exclusivement à des objets de poterie.
A l’époque romaine, seuls quelques types subsistent de la riche céramique dace des siècles précédents. Ces produits ont été presque tous façonnés à la main: l’emploi du tour est bien rare après la dislocation du royaume dace. Les parois des pots étaient parfois ornés par l’impression des doigts et de diverses décorations imitant des fils retors. Le «bol dace», trapu, à parois épais, évasé en forme d’arc près de son bec et muni en général d’une, et plus rarement de deux anses, est également une pièce très caractéristique. Toute cette gamme d’objets reflète une civilisation assez fruste, probablement liée à la persistance du mode de vie rudimentaire des couches inférieures de la société dace d’avant la conquête.
La céramique dace de l’époque de l’occupation romaine met en lumière la diffusion très limitée, dans la province, de la romanisation. Tandis qu’en Pannonie les poteries façonnées à la main disparaissent avant la fin du IIe siècle pour céder la place, au siècle suivant, à une céramique uniformément fabriquée au tour, on ne constate guère, en Dacie, d’interaction entre l’art des indigènes et celui des colons. La permanence de l’industrie céramique dace atteste justement la non-romanisation des indigènes. Processus long et complexe, cette romanisation, qui peut être suivie dans le détail dans d’autres provinces grâce aux fouilles archéologiques, ne saurait être démontrée dans le cas de la Dacie.
Ailleurs, la romanisation conduisait progressivement à l’assimilation par la population locale de divers éléments de la civilisation romaine (coutumes, etc.). La diffusion des techniques romaines changea tout d’abord la vie matérielle. Les conditions de vie de certaines couches de la société se transformèrent elles aussi. Dans la plupart des cas, la romanisation fut plus ou moins librement acceptée, favorisée par la mise en place des structures administratives et des civitates, de même que par l’urbanisation et le service militaire. Les tribus finirent par se désintégrer; les longues années de service militaire, la participation à la vie urbaine et au commerce entraînaient des mutations profondes dans la société. Cette évolution, qui s’étalait sur plusieurs générations, conduisait d’abord au bilinguisme, puis à la substitution du latin à la langue des indigènes. Dans les provinces occupées par l’Empire romain, ce processus nécessitait généralement 400 ans – voire plus – pour s’accomplir. La romanisation était accompagnée et appuyée de certaines mesures venues de l’extérieur, et les fouilles archéologiques permettent de suivre les étapes d’une intégration et d’une assimilation progressives. Or, il n’existe aucune trace de cette évolution en Dacie.
De plus, la diversité des langues parlées par les populations établies en Dacie par les Romains ne favorisait guère l’adoption du latin par les Daces autochtones. En effet, on conçoit difficilement comment les soldats thraces ou syriens des camps militaires auraient pu le leur apprendre. Etant le moteur de ce progrès dans les autres provinces, les civitates y étaient complètement absentes. Leur manque, en Dacie, est tellement frappant qu’on est inévitablement amené à l’expliquer non seulement par la faiblesse numérique de la population, mais aussi par le renoncement des Romains à tout effort sérieux de romanisation. L’aristocratie tribale, à laquelle ils auraient pu s’adresser, 57avait été anéantie par les guerres. Progressant avec une extrême lenteur, l’urbanisation n’avait atteint qu’une partie de la province. Les indigènes restèrent complètement étrangers à la vie urbaine, alors que ça eût été la seule voie possible de la romanisation.
Nulle trace de l’enrôlement des indigènes en unités militaires linguistiques, comme c’était le cas dans d’autres provinces au bout de quelques décennies après la conquête. Les vestiges de la vie religieuse ne portent aucune empreinte d’une mythologie dace; pas une seule divinité dace ne nous est connue dans cette province. Malgré les tentatives de certains historiens, on n’a pas pu prouver que le culte de certaines divinités romaines cachait en fait la vénération d’un dieu local transmué par l’interpretatio Romana. Trait essentiel de la civilisation romaine, les inscriptions n’étaient nullement pratiquées par les Daces.
La province romaine de Dacie exista pendant 165 ans. L’assimilation en général et la substitution du latin à la langue locale ne pouvaient s’opérer en un temps si court. Dans la Pannonie, pourtant voisine de l’Italie, ou dans d’autres provinces, les 160 premières années de l’occupation romaine ne suffirent même pas à la romanisation de la civilisation matérielle de la population locale. Les objets usuels et les costumes n’avaient pas changé avant les guerres marcomanes et il fallut encore 200 ans pour que la romanisation progresse en profondeur. En Dacie, les ravages des guerres marcomanes furent suivis de l’établissement de colons d’origine orientale; ensuite, au terme des guerres mettant fin au bien-être relatif de la génération de l’époque des Sévères, les Romains évacuèrent la Dacie. D’autre part, rien n’atteste la romanisation des groupes de Daces dispersés sur le territoire de la province et leur attachement à cette romanisation après le départ des Romains. L’assimilation du latin comme langue maternelle – qui marqua partout ailleurs l’aboutissement de ce processus – est non seulement indémontrable en Dacie, mais encore formellement démentie par les matériaux de recherches historiques et sociales.

 

 

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