Le mouvement du Mémorandum

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583Le mouvement du Mémorandum
En 1884, à Nagyszeben, un quotidien roumain moderne voit le jour sous le titre de Tribuna qui, dirigé par l’écrivain Ioan Slavici, de retour de Roumanie, rassemble autour de lui un certain nombre de jeunes intellectuels et attaque, sur un ton beaucoup plus virulent que jusque-là, le gouvernement et plus encore le nouveau parti national roumain fondé de fraîche date par le métropolite de Nagyszeben, qui se dit modéré et prend inconditionnellement le parti du Compromis et de l’union. Le parti modéré se désagrégera en un an et demi, selon la phrase ironique de Tribuna, «tué par la maladie de la modération»,* La nouvelle tendance ne se contente pas des vieilles méthodes libérales des leaders du mouvement national, qui se bornent presque exclusivement à des déclarations de protestation et à l’action culturelle, mais elle fait aussi entrer dans sa politique de griefs nationaux, les soucis quotidiens de larges couches de la population. Tribuna adopta en effet le style du journalisme moderne, le refus catégorique de toute idée opposée, le ton énergique des grands organes de Bucarest et de Budapest. Loin de nier la nécessité d’établir «un modus vivendi acceptable aussi bien pour nous que pour tous nos concitoyens d’autres ethnies,»* il écrira, à peine six mois après sa fondation: «Si, au sein de l’Etat hongrois, le statut solide de l’ethnie roumaine s’avère impossible … il ne nous reste alors aucune autre solution que la liquidation de cet Etat hongrois et la lutte pour sa liquidation; l’alliance avec les ennemis de l’ethnie hongroise nous paraît une nécessité logique.»*
Cité par SÁNDOR BÍRÓ, Az erdélyi román értelmiség eszmevilága a XIX. században (La mentalité de l’intelligentsia roumaine de Transylvanie au XIXe siècle), in: MR II, 173.
Cité par IOAN SLAVICI, Sbuciumări politice la români din Ungaria (Les tourments politiques chez les Roumains de Hongrie), Bucureşti, 1911, 23 et Românii din regatul ungar şi politica maghiară (Les Roumains du Royaume de Hongrie et la politique magyare), Bucureşti, 1892, 33.
Tribuna, 25 septembre 1884. MR II, 171.
La nouvelle tendance tentait d’offrir de nouvelles bases aux efforts de la nation roumaine en vue de la formation de l’unité. Elle proclama fièrement le mouvement pour l’unité culturelle des Roumains vivant des deux côtés des Carpates et rattacha la politique des Roumains de Hongrie à des divisions de parti de Bucarest, ce qui deviendra la source de nombreuses controverses intérieures, mais sera également l’occasion d’un nouvel élan du mouvement roumain de Hongrie qui s’était quelque peu figé.
Les jeunes tribunistes s’assurèrent les postes de vice-président et de secrétaire du parti national roumain et poussèrent le parti à mettre ses anciennes résolutions en pratique, notamment à adresser au souverain un mémorandum de grande envergure sur les griefs politiques collectifs des sujets roumains de l’Etat hongrois. Désormais, Bucarest soutient les revendicateurs: en 1891, se crée une association se proposant de servir l’unité culturelle des Roumains, la Liga Culturală. Plus tard, la Ligue aura des sections à Paris, à Berlin, à Anvers et elles y déploieront une activité de propagande internationale. L’oppositionnel parti libéral de Bucarest, avec à sa tête Dimitrie A. Sturdza, trouve dans la question nationale un moyen extraordinaire de renverser le gouvernement – un peu à l’instar de la tactique du parlement hongrois – et utilise le mouvement des Roumains transylvains en tant qu’arme politique du parti. Le parti soutient la Ligue et la soumet assez rapidement à sa direction. Celle-ci publie, en 1891, le mémorandum des étudiants de Roumanie. La brochure, destinée à la jeunesse occidentale, «à l’Europe de l’avenir», sera distribuée en 58415 000 exemplaires, en langues roumaine, française, allemande et italienne. Après une introduction esquissant l’histoire des Roumains et définissant leur place dans le développement européen, elle présente la liste des griefs nationaux et culturels des Roumains de Transylvanie depuis 1867. Les étudiants hongrois, encouragés par les autorités officielles, élaborent, avec l’aide du professeur roumain de Kolozsvár, Grigore Moldovan, proche du parti au pouvoir, une réponse apologétique. C’est à celle-ci qu’un étudiant en médecine, Aurel C. Popovici répliquera, au nom des étudiants roumains de Hongrie, dans un manifeste publié en 1892 à Nagyszeben. Popovici sera accusé de provocation et condamné par le tribunal de Kolozsvár, mais il échappera à sa peine en fuyant le pays.
Analysant l’effet de cette guerre de tracts, Raliu, le futur président de parti, fit la déclaration suivante: «Nos doléances, qui sont désormais connues de toute l’Europe, sont écoutées, jugées vraies et justes par toutes les nations et ce n’est pas par notre faute si l’opinion publique européenne s’est rendu compte qu’il y a quelque chose qui pourrit dans cet Etat.»* On décida de présenter sans plus tarder à l’Empereur le grand Mémorandum envisagé depuis longtemps. Les circonstances étaient effectivement propices à une action d’envergure de ce genre. La Hongrie, secouée par la crise gouvernementale, était en pleine fièvre électorale. L’Allemagne – à l’opposé des milieux dirigeants de la Monarchie – songeait à accorder un rôle important à la Roumanie dans les Balkans et tentait d’exercer une pression sur Budapest, pour lui extorquer des concessions dans sa politique des nationalités. Ce fut alors que se précisa à Bucarest l’idée d’une «alliance conditionnée» qui posait comme préalable à l’adhésion de la Roumanie, le traitement digne des Roumains vivant sur les territoires de la Monarchie. En janvier 1892, le roi Charles de Roumanie mena des négociations à Budapest avec le premier ministre, le comte Szapáry, lui demandant d’étendre le droit de vote en Transylvanie et de mettre un terme à la magyarisation et aux mesures administratives allant à l’encontre des institutions culturelles. Szapáry déclina la première demande et par peur de l’opposition n’osa pas écouter les deux autres non plus; le «non possumus» du premier ministre fut confirmé par François-Joseph. Charles finit par approuver l’action des mémorandistes, et il le fit savoir aux auteurs du projet de texte.
Cité par Unirea Transilvaniei cu România. (L’union de la Transylvanie avec la Roumanie), Publ. par ION POPESCU-PUŢURI–AUGUSTIN DEAC, Bucureşti, 19722, 208.
Le volumineux Mémorandum trahit le caractère ambigu de la tactique de l’opposition: il met en doute la légalité du Compromis, de l’union, de la loi sur les nationalités, donc, en fait, de l’ensemble du régime, pour revendiquer, dans d’autres passages, l’application des lois. Mettre fin à l’autonomie de la Transylvanie, déclare le Mémorandum, «correspond à négliger ouvertement le peuple roumain».* Il dénonce l’article XLIV de la loi de 1868, car «son titre mis à part, la loi ne contient rien d’effectif en ce qui concerne la formidable idée de l’égalité»,* tandis que, par l’introduction de l’idée de nation politique, elle commet un attentat ouvert contre l’existence nationale des non-Hongrois. Il attaque le niveau élevé du cens électoral transylvain ainsi que les illégalités qui marquent les élections et empêchent les Transylvains d’avoir une représentation conforme à la réalité. Il critique la trop grande rigueur de la loi sur la presse en Transylvanie ainsi que les procès intentés à ses organes. A 585l’opposé de la période de 1848-1866, considérée comme celle de l’acquisition des droits, le régime de 1867 se donne pour but, selon le Mémorandum, «de nous prendre tout ce que nous avons reçu de la Monarchie unitaire».* D’un côté, il reproche la magyarisation des écoles, l’enseignement obligatoire du hongrois, l’absence d’enseignement universitaire en roumain et de lycées d’Etat roumains et, de l’autre, il critique la façon dont l’Etat subventionne le clergé roumain, parce qu’il fait tort ainsi à l’autonomie ecclésiastique des Roumains. Le document reproche également au régime de n’employer que très peu de fonctionnaires roumains, de persécuter les intellectuels roumains «qui doivent en conclure qu’ils sont considérés dans leur propre pays comme des étrangers».* Il n’y a pas de liberté de réunion et d’association, les cercles de magyarisation ne cessent de blesser l’amour-propre national des Roumains: «Jour après jour, ils nous provoquent et nous humilient».* Le ton du Mémorandum est dominé par la constatation principale très claire selon laquelle «après 25 années d’existence constitutionnelle, les âmes sont plus que jamais hostiles les unes aux autres», et que les Roumains «ne peuvent plus avoir confiance ni en l’assemblée nationale de Budapest, ni en le gouvernement hongrois».* Un tournant ne peut désormais s’attendre que de «la médiation naturelle» du souverain afin que «sous une forme légale et par la voie des instances appropriées, le système gouvernemental puisse être modifié dans notre pays».*
Publié par GÁBOR KEMÉNY G., Iratok … I, 827
Ibid. 831.
Ibid. 844.
Ibid. 833.
Ibid. 841.
Ibid. 824.
Ibid. 846.
En mai 1892, à la veille des cérémonies du 25’ anniversaire du dualisme, une délégation de 237 membres déposa le Mémorandum à Vienne. Mais le souverain, à la demande du gouvernement, refusa de les recevoir. Le président Ratiu laissa alors le Mémorandum, sous enveloppe cachetée, dans le bureau du cabinet d’où on l’expédia, sans l’avoir ouvert, à Budapest. Le Conseil des ministres, à son tour, en fit retour par la poste au domicile de l’«expéditeur», Raţiu. Le premier pas fut donc un échec. De cette situation délicate, les leaders roumains furent sauvés par l’opininon publique nationaliste hongroise et par le gouvernement. «Nous ne pouvions commettre aucune bêtise, – écrira plus tard un politicien roumain sous forme d’auto-critique – sans que les Hongrois n’y répliquassent par une bêtise encore plus grande.»* A Torda, des manifestants lancèrent des pierres sur la maison de Raţiu, ce qui suscita un très fort écho en Roumanie. Le Mémorandum avait été tiré en 11 000 exemplaires en roumain et 2 000 en d’autres langues, et en partie diffusé par l’intermédiaire de la Liga Culturală. Le gouvernement, après un temps d’hésitation, céda à la pression nationaliste: en mai 1893, le Parquet de Kolozsvár intenta un procès pour délit de presse contre le président Raţiu, signataire du Mémorandum, ainsi que contre la direction du parti qui se déclarait en être l’auteur spirituel. La Liga Culturală organisa des meetings de sympathie en Roumanie, intensifia son activité de propagande en Europe occidentale et finança la parution du journal Tribuna, interdit. Dans le même temps, à Bucarest, le parti libéral, dans l’opposition, tentait d’utiliser cette affaire pour 586renverser le gouvernement conservateur accusé d’avoir trahi les Roumains de Transylvanie. Sturdza proposa que l’ensemble du comité national passe à l’étranger et qu’il installe son siège en Roumanie afin que «la lutte atteigne une dimension européenne».* Mais le comité comprit que le but premier de Sturdza était de renverser le gouvernement conservateur: «Que dira la paysannerie, qui ignore les tractations de la politique étrangère, si ses dirigeants lui tournent le dos et connaissent en Roumanie respect et honneur tandis que les petits et les pauvres se retrouvent en prison?»* Raliu se rendit à Bucarest en novembre et le gouvernement et le roi lui firent miroiter des concessions hongroises probables. Il se rendit immédiatement à Pest, mais le ministre de l’Intérieur hongrois ne lui promit ces concessions que pour plus tard et on exigea des Roumains qu’ils abandonnent le programme de 1881. Raţiu rentra donc bredouille. Entre-temps, la question d’émigrer ou de rester fut relancée par la presse roumaine, ce qui, ajouté aux différends déjà existants, eut pour conséquence une anarchie intérieure. C’est pour cela qu’on dira plus tard que «Sturdza nous a plus fortement démoralisés en un an que les gouvernements hongrois ne l’ont fait en 50 ans».*
VALERIU BRANIŞTE, Amintiri din închisoare. Insemnări contimporane şi autobiografice (Souvenirs de prison. Notes contemporaines et autobiographiques), Notes et pubs. d’ALEXANDRU PORŢEANU, Bucureşti, 1972, 188.
Lettre d’Ioan Bianu à Brote, 12 septembre 1893. Publié par ŞERBAN POLVEREJAN–NICOLAE CORDOŞ, Mişcarea memorandistă în documente (1885-1897) (Le mouvement mémorandiste en documents), Clui, 1973, 224.
Cité par IOAN GEORGESCU, Dr. Ioan Raţiu. 50 de ani clin luptele naţionale ale românilor ardeleni (50 ans de luttes nationales des Roumains de Transylvanie), Sibiu, 1928, 156.
BRANIŞTE, op. cit., 215.
Le procès de presse commença le 7 mai 1894 à Kolozsvár. Les deux parties se préparaient à jouer le grand jeu. Des avocats serbes et slovaques étaient engagés à la défense des accusés. Dans l’intérêt d’une attitude cohérente, la défense avait élaboré des formules obligatoires à suivre et par les avocats et par les accusés. Durant leur voyage vers Kolozsvár, Raţiu et ses compagnons furent ovationnés dans presque toutes les gares. Des télégrammes de solidarité arrivaient en masse. Au cours des premiers jours du procès, plus de 3 000 (selon d’autres sources 25 000) sympathisants roumains défilèrent en manifestations dans la ville où des forces militaires considérables avaient été mises en alerte. En province également, de nombreuses manifestations de sympathie se déroulèrent et les autorités commençaient à s’inquiéter. Le procès traîna en longueur pendant plusieurs jours, la discussion tourna autour de la langue officielle du procès verbal et surtout de celle que les défenseurs devraient utiliser, car le tribunal, n’ayant pas refusé aux accusés de s’exprimer dans leur langue maternelle, exigeait des avocats l’usage du hongrois.
Les accusés ne purent que partiellement réaliser leur idée de base, à savoir de ne pas laisser réduire le procès à un simple procès de presse, mais de le transformer en une polémique politique de grande envergure. Ils ne réussirent pas à faire discuter le Mémorandum en tant que «mémoire de droit historique et de droit public». Après le réquisitoire volontairement retenu du procureur, Raţiu fit lecture, au nom des accusés, d’un plaidoyer imposant, rédigé par le secrétaire du parti, aidé d’un politicien libéral de Bucarest. Raţiu déclara qu’ils avaient été envoyés à Vienne par le peuple roumain afin de solliciter la protection du trône contre la violation des droits des Roumains. «Il s’agit ici d’un procès séculaire entre les nations hongroise et roumaine «dans lequel» le tribunal du monde civilisé vous condamnera un jour encore plus sévèrement qu’il ne l’a jamais fait jusqu’ici. En nous condamnant, dans un esprit d’intolérance et de fanatisme raciste sans pareil en Europe, vous parviendrez seulement 587à prouver que les Hongrois constituent une note fausse dans le concert de la civilisation.»*
Voir le texte hongrois du discours de Raţiu prononcé au tribunal le 25 mai dans GÁBOR KEMÉNY G., Iratok… II, 253-254.
Au terme d’un procès de 17 jours, le jury jugea la majorité des accusés coupables et disculpa 4 personnes. Le tribunal – s’opposant à l’avis de son propre président qui demandait une nouvelle procédure – voulait condamner l’esprit du Mémorandum ainsi que la conception des accusés afin de contenter ainsi le nationalisme hongrois et de satisfaire aux souhaits du comité national roumain qui cherchait la confrontation. Les peines furent extrêmement sévères. 15 personnes furent condamnées à titre de provocation par voie de presse à la prison d’Etat pour des durées allant de deux mois à deux ans et demi; le secrétaire du parti, Lucaciu, supposé l’instigateur principal de l’action, eut, contre l’avis du président et du procureur, la peine maximale: cinq ans de prison d’Etat.

 

 

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