Contre-révolution et guerre civile

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478Contre-révolution et guerre civile
Les explications qui essayent de définir les causes de la guerre civile en Transylvanie se répartissent en trois groupe. Ceux qui penchent vers les modèles volcanologiques et téléologiques, estiment que les armes furent prises en conséquence logique de la misère, souffrance et humiliation séculaires, puis de l’insupportable intensification de celles-ci, et parce que l’émancipation des serfs n’avait pas répondu aux attentes et que les revendications nationales roumaines furent repoussées. A l’autre extrême on trouve des vues qui se conforment au modèle «à agitateurs»: d’après celles-ci les passions se sont déchaînées par suite des manigances d’officiers et d’éléments incertains en voie de déclassement. Face à ces modèles, imprégnés soit d’une forte charge émotive, soit d’un dogmatisme rigide qui reprend, pour l’essentiel, des opinions de l’époque, on trouve le modèle dit politique. Les tenants de celui-ci tentent d’expliquer la genèse des révolutions ou des contre-révolutions et l’apparition de la violence collective par le conflit des intérêts, par la rivalisation des groupes aspirant au pouvoir, et ils admettent que la guerre n’est qu’une extension de la politique qui recourt à des moyens différents. La trame de l’évolution transylvaine est plus compliquée car la Transylvanie appartient à la fois à plusieurs entités: d’une part à la Hongrie, d’autre part, à l’Empire des Habsbourg; cela à un moment où tout le monde, des chaumières aux châteaux, se préoccupe de politique à sa manière et que les masses font des efforts avec une discipline politiquement extraordinaire pour réaliser leurs désirs – parfois messianiques.
La principale force de la contre-révolution est l’armée qui reste fidèle à l’Empereur. Elle remporte d’écrasants succès dans les provinces d’Italie et provoque, à Prague, un soulèvement populaire suivi d’une répression d’autant plus forte. En août, il apparaît déjà que Vienne, pour reconstruire l’Empire, abandonnera la recherche d’une solution politique et optera pour la solution militaire. Les milieux dirigeants, militaires et aristocrates, profitent des contradictions entre révolution et libéralisme et s’apprêtent à rétablir l’ordre en Hongrie. La Cour se voit cependant obligée, de peur que son intention d’attaque armée n’éclate trop tôt au grand jour, de jouer pour l’instant un double jeu. Le souverain attendra le début d’octobre pour se retourner ouvertement contre la constitutionnalité à laquelle il avait jusque-là donné son accord.
Ban de Croatie et commandant des confins militaires croates, Jellacié voit que le gouvernement hongrois est encerclé. Jouissant de la complicité de groupes influents à la Cour, il se charge de mater la révolution hongroise par les armes. (Fait tragiquement typique de l’histoire des peuples danubiens: il lançait son offensive au moment même où le gouvernement hongrois inclinait déjà à assurer à la Croatie une autonomie complète.)
Dans un premier temps, la solidarité révolutionnaire des Autrichiens est encore à même de venir à la rescousse de la révolution hongroise. Apprenant que des unités militaires ont été dépêchées pour soutenir Jellacié, le peuple de Vienne se soulève une nouvelle fois, le 6 octobre. L’armée hongroise saura parer à l’offensive croate, sans parvenir pour autant à libérer la capitale autrichienne révolutionnaire de la pression de forces nettement supérieures en nombre.
Parallèlement à la détérioration du conflit entre le gouvernement hongrois et la Cour, on voit s’accentuer, en Transylvanie, les tensions sociales et nationales.
479Avant de devenir forteresses de la résistance puis bases de l’offensive, les deux régiments roumains affectés à la garde des frontières sont le foyer de l’émeute. Leur poids ne résidait pas seulement dans la force de leurs armes. Le mode de vie de franc paysan affecté comme militaire à la garde des frontières constituait un modèle attrayant pour les serfs, alors que les hobereaux roumains de naguère cherchaient à y échapper. Tout comme le soulèvement de Horea, qui avait débuté en 1784 par l’inscription massive dans les troupes de garde-frontières, la lutte des classes prit cette forme. Fait qui apparaît assez paradoxal puisque la révolution avait déjà aboli l’institution féodale du servage. Cependant, l’émancipation des serfs n’avait pu en ellemême répondre aux chimères messianiques suscitées par les grandes mutations, d’autant que les motifs de conflits étaient multiples entre paysannerie et noblesse terrienne. L’absence ou le retard de révision du terrier perpétuait dans les deux camps la méfiance et l’angoisse.
En vain Imre Mikó, chargé de la direction du Gubernium transylvain, presse-t-il Ferenc Deák, le ministre de la Justice, de répondre aux prescriptions de la loi de Kolozsvár et de nommer sans tarder les commissions qui devront décider pour chaque village «conformément aux lois et au droit privé transylvains» lesquelles des terres reviendront au seigneur et lesquelles aux paysans affranchis. Faute de projet de loi détaillé de la part du Comité pour l’union, le ministre ne peut pas faire les démarches nécessaires.
Dans quelque 10 à 15% des communes relevant de la juridiction des comitats des doléances passionnées opposaient l’ensemble du village au seigneur. Les conflits rebondissaient surtout autour des pâturages et des forêts. Le cas des curialistes, qui ne recevaient que la liberté personnelle, puisque la terre qu’ils exploitaient avait un caractère allodial, était à l’origine de lourdes tensions. Ils représentaient quelque 15% seulement des censiers, mais nombreux étaient ceux qui craignaient de se voir réduits à leur sort. En de nombreux endroits, les serfs d’hier refusaient de rentrer la récolte des terres seigneuriales, fût-ce à moitié, de peur que leur travail partiaire ne soit interprété comme une reconnaissance des vieilles sujétions et leur terre classée de franc-alleu. A la suite de ces appréhensions paysannes, on voit apparaître, au moment de la moisson, une pénurie de main-d’œuvre que les autorités des comitats tentent de surmonter en exigeant les arriérés de corvée et en astreignant les curialistes au travail.
Au début de septembre, la majeure partie de la paysannerie se met en branle d’un jour à l’autre, et face au gouvernement hongrois qui s’apprête à mettre sur pied une armée d’autodéfense, le Honvédség (défense armée de la patrie) et décrète la conscription. Des rumeurs circulent dans les campagnes selon lesquelles les «seigneurs» entendraient mener les recrues contre l’Empereur. La résistance, dans bien des communes, s’exprime de diverses manières: les gens prennent la fuite, amputent les matricules et chassent les fonctionnaires chargés de la conscription. Le 12 septembre, à Aranyoslóna, l’affrontement entre quelque 200 militaires hongrois et les habitants de plusieurs villages roumains fait une douzaine de morts. Cet incident deviendra le symbole de la résistance «populaire», à quoi s’ajoutent l’image d’un Empereur débonnaire et des mécontentements de toutes natures, propres à déclencher un mouvement généralisé.
C’est en vain que les autorités gouvernementales hongroises arrêtent la conscription. Le tollé est désormais manipulé par la contre-révolution. Le déroulement des événements laisse penser à un scénario habilement monté. Dès le 15 septembre, Puchner, le commandant général des armées impériales 480informe le ministre de la Guerre, à Vienne, que «… la nécessité peut s’imposer d’exercer sur le peuple roumain – tout à fait semblable aux Ruthènes de Galicie par sa situation géographique favorable et sa loyauté dévouée à Sa Majesté – une influence de nature à endiguer les efforts démocratiques hongrois».*
Kriegsarchiv, Vienne, Hofkriegsrat, Präs. MK 1848: 5462.
Entre-temps, du 11 au 14 septembre, alors que Jellaèić franchit la Drave pour marcher sur la capitale hongroise, les délégués des villages de gardesfrontières roumains sont convoqués à Orlát et à Naszód, cantonnements des régiments roumains, afin d’y affirmer leur engagement pour l’intégrité de la monarchie et l’unité de l’armée. Ces assemblées donnent le signal et mobilisent les paysans pour se faire enrôler dans les troupes affectées à la gardefrontières. Alors que le haut commandement militaire de Nagyszeben s’était gardé de «provoquer» avant terme l’opinion hongroise, le lieutenant-colonel de Naszód Karl Urban, de retour de Vienne, s’empresse dès le 18 septembre de promettre, sur ordre supérieur, assistance aux communes réfractaires à la conscription dans l’armée hongroise. Popes, clercs et étudiants en droit encouragent, à l’envie, les villages à envoyer des délégués auprès de Urban, chercher la «pajură» (nom de l’aigle en roumain): certificat revêtu du sceau à l’aigle bicéphale qui atteste en bon allemand que la commune en question, fidèle à l’empereur Ferdinand, mettra si besoin est ses jeunes à la disposition de celui-ci. La solidarité – ou la contrainte – collective du monde rural se met en œuvre avec une force extrême. Ceux qui affluent à Naszód en grand nombre, dont aussi des Hongrois, emmènent de force avec eux souvent des nobles terriens locaux, des pasteurs réformés et des fonctionnaires des comitats. A la fin du mois de septembre, 527 communes rurales ont déjà prêté serment de sorte que, selon l’estimation d’Urban, les habitants munis d’armes à feu se chiffrent eux-mêmes à plus de dix mille.
Refoulé jusqu’ici, le mouvement national roumain vient, certes, collaborer avec le commandement militaire, mais tente également d’influer sur les événements en tant que force autonome. Dans le Nord de la Transylvanie, à Naszód, en raison de l’ascendant des officiers autrichiens et allemands, elle n’obtient guère de résultats. Mais dans le Sud, les officiers, popes et instituteurs roumains ont pour eux la supériorité numérique: ils fondent leurs revendications sur l’exigence d’autodétermination nationale. L’effervescence sociale n’est pas, dans cette région, directement manipulée par le commandement militaire. Le foyer du mécontentement national et social roumain s’est déplacé à Balázsfalva. Ioan Axente qui a, dès le printemps, envisagé l’éventualité d’un soulèvement armé, réunit quelques centaines d’hommes à Orlát. Ils prennent la direction de Balázsfalva et ils sont plusieurs milliers à y arriver. Les paysans, hongrois entre autres, y affluent désormais de tous côtés. A partir de la mi-septembre, Balázsfalva abrite un grand campement paysan de quinze jours et une nouvelle grande assemblée nationale. Cette dernière ne réclame pas seulement l’annulation de la «corvée» (en réalité celle des travaux exigés au titre d’arriérés de la corvée ou comme compensation à l’usage de la terre), mais va jusqu’à déclarer l’union nulle et à voter l’extension de la Constitution autrichienne à la Transylvanie. Elle exige la création d’un gouvernement provisoire composé de Roumains, de Saxons et de Hongrois ainsi que la convocation d’une Diète appelée à statuer sur l’avenir de la Transylvanie. Les «élus du peuple roumain de Transylvanie», avec Laurian à leur tête, adressent 481au Parlement de Vienne une requête demandant que l’Autriche intervienne à l’Est tout en garantissant le droit d’auto-détermination aux deux Principautés roumaines afin qu’elles adhèrent par la suite a à la puissance qui jouira de leur confiance». L’Autriche, elle, devrait devenir «une confédération libre de peuples libres».*
Publié par CORNELIA BODEA, Lupta românilor pentru unitatea natională 1834-1849 (La lutte des Roumains pour l’unité nationale), Bucureşti, 1967, 337-340.
Manifestement, le commandement militaire autrichien s’inquiète du zèle national de l’intelligentsia mais, à Balázsfalva, les généraux «ont tout promis». Comme l’écrit Laurian, il s’agit de transmettre les revendications au souverain et d’armer le peuple.*
Lettre de A. T. Laurian à G. Bariţ, Nagyszeben, 22 sept./2 oct. 1848, in: BODEA, op. cit., 340.
Les organisateurs de l’assemblée de Balázsfalva de septembre 1848 appellent, au nom de la nation, le peuple aux armes. Au plan de l’organisation, ils renouent avec les traditions romaines dont ils se sont toujours réclamés. Ils découpent la Transylvanie en préfectures et s’emploient, dans chacune d’elles, à mettre sur pied une légion ayant un préfet à sa tête. La hiérarchie se complète, vers le bas, de tribuns, de centurions et de décurions. Les chefs prennent des noms tels que Sever, Probu, Marlian. Partout où c’est possible, ils invitent le peuple des villages à s’exercer dans le maniement des faux et des lances jusqu’à ce que le haut commandant Puchner, fidèle à sa promesse, ne mette à leur disposition des armes et des officiers. On commence à planter des perches-alarme et à préparer les feux qui donneront le signal de l’attaque.
En Transylvanie le gouvernement hongrois doit faire face à des tâches insurmontables. Du moment que les villages refusent de lui obéir, l’administration se trouve bloquée. Elle ne peut plus se manifester sinon en transmettant des informations sur la situation. La menace d’une «explosion sanglante» est dans l’air. Comme on peut le lire dans le rapport d’un «főispán» (comes supremus) daté de la fin de septembre et rendant compte des relations entre l’administration du comitat et le peuple des villages, «même là où il n’y a pas de résistance, on se sent inquiet devant l’humilité démesurée, en écoutant la petite phrase répétée à satiété: «nous obéirons en attendant que les choses soient tranchées».*
Rapport du baron István Kemény, contes du comitat de Alsó-Fehér au Gubernium, Nagyenyed, 30 septembre 1848. OL Gub. Trans. in Pol. 1848: 11 302.
Le caractère menaçant de la situation incite les Hongrois à régler la question nationale roumaine. Wesselényi conçoit, dès la fin du mois d’août, un projet de loi garantissant aux Roumains le droit d’utiliser leur langue. C’est que les députés roumains de Hongrie, se référant à une nécessaire alliance entre les deux nations, revendiquent, eux aussi, des droits linguistiques. L’époque eût-elle été moins trouble que l’avertissement réitéré de Kossuth aurait probablement suffi pour trouver un dénouement en Transylvanie: «l’union fraternelle entre Hongrois et Valaques, Valaques et Hongrois est, pour les uns et les autres, le gage d’un avenir de bonheur; qu’ils se gardent donc de se laisser entraîner à opprimer l’autre car ce serait prendre une arme qui se retourne contre soi».* Fin septembre, le Comité d’union – ayant pour collaborateurs quelques suppléants roumains, dont Cipariu – élabore un projet de loi qui aurait pu ouvrir une ère nouvelle non seulement dans les rapports hungaroroumains, 482mais probablement aussi dans le statut juridique de l’ensemble des peuples allogènes de Hongrie. Ce document définit la personnalité juridique collective des Roumains. Il part du principe que «la nationalité et la langue roumaines sont reconnues». A l’école comme à l’église, il garantit l’usage du roumain, autorisant également son usage dans les instances de la vie publique du comitat et des villes «où les Roumains sont numériquement forts»; il met en perspective l’usage de la langue maternelle dans la garde nationale, précise que, dans l’administration, il convient d’engager des Roumains «en proportion équitable», et, enfin, déclare que «les Roumains devront bénéficier de tous les droits et privilèges, acquis ou à acquérir par d’autres nations de la patrie».*
Intervention de Kossuth à la séance du 26 août de la Chambre. Publ. par KLÖM XII. par ISTVÁN SINKOVICS, Budapest, 1957, 804.
Az 1848/49. évi népképviseleti országgyűlés (La Diète représentative de 1848/49). Publ. et préf. par JÁNOS BEÉR–ANDOR CSIZMADIA, Budapest, 1954, 583-585.
Ce projet de loi ne parvient que jusqu’au président de l’Assemblée nationale, tellement les esprits sont préoccupés par l’organisation de la guerre d’autodéfense. Cependant, ces événements de Pest qui concernent les Roumains rencontrent un écho favorable auprès de plusieurs leaders roumains de Transylvanie. Le climat s’en trouve quelque peu rasséréné sans que faiblisse la volonté de collaboration avec la direction militaire impériale. «De l’Empereur, nous obtiendrons tout ce qui nous revient de droit. Mais tu dois savoir que les Hongrois nous ont eux aussi tout accordé à l’Assemblée nationale de Pest: la nationalité sous toutes ses formes», écrit, début octobre, Nicolae Bălăşescu à Bariţ, quand il a pu s’entretenir avec Cipariu, frais arrivé de Pest.* Ce dernier regagne Balázsfalva et, embrassant la cause de la partie qui semble la plus forte, il arbore le drapeau noir-et-jaune.
Lettre de Nicolae Bălăşescu à G. Bariţ, Nagyszeben, 24 sept./6 oct. 1848, Bucureşti, Biblioteca Academiei, Ms 993,60.
Les dirigeants roumains avaient apparemment espéré que l’autonomie hongroise serait limitée par la terreur et le déploiement des forces militaires croates, si bien que les forces nationales hongroises accepteraient une constitutionnalité valable pour l’ensemble de la Monarchie. Dans une phase suivante, comme la presse de Brassó en dissertait déjà, les Roumains accéderaient, dans ce cadre si souvent évoqué mais jamais précisé dans son détail, à un rôle important, selon le principe d’équilibre entre les différentes aspirations nationales. Dans cet espoir, ils acceptaient le risque d’une alliance avec la direction militaire impériale, tout en sachant que les militaires n’étaient guère partisans de la constitutionnalité.
Les décisions des milieux dirigeants saxons furent essentiellement prises en fonction des rapports de forces de l’Empire qu’ils suivaient attentivement. Dans la première quinzaine de septembre, lorsqu’ils se rendirent compte que le gouvernement hongrois s’apprêtait à la résistance armée, les députés saxons, à l’exception d’Elias Roth de Brassó, renoncèrent, les uns après les autres, à leur mandat et rentrèrent chez eux. Ils se sentaient profondément blessés par un projet de loi du Comité pour l’union, qui conférait au ministère le droit de nommer – à l’image des «főispán» des comitats – les «comes» placés à la tête des administrations saxonnes (et sicules). Après quoi, ils ne se contentaient plus des concessions qui leur permettaient d’élire leurs comes, de conserver leur administration et leur Universitas, pas plus que de la promesse de se voir garanti l’usage de la langue allemande dans l’administration saxonne, à l’exception de Szászváros. Il était pourtant devenu clair, précisément à l’occasion des élections parlementaires, que la libéralisation de la vie municipale ne 483menaçait pas l’existence des forces vives des Saxons et leur développement en tant qu’ethnie allemande.
Début octobre Stephan Ludwig Roth ne voit plus de vrai choix: «1. nous ranger du côté des Hongrois, ce qui sous-entend d’être contre les Roumains et l’ensemble de la Monarchie; 2. nous ranger du côté des Roumains et être pour l’ensemble de la Monarchie, mais contre les Hongrois. Hongrois ou Roumains, c’est accidentel. Ce qui importe, c’est le principe de la monarchie unique, cette idée qui se montre garante de la Constitution proclamée en Autriche.» Constitutionnalité, sentiment national allemand, fidélité à l’Empereur, telles seraient les considérations majeures même si les milieux gouvernementaux hongrois eussent été prêts à «accepter toutes nos conditions», or «comme ce n’est pas le cas, il ne nous est que plus facile de décider».*
Lettre de Roth à Johann Gött, Muzsna, 14 oct. 1848, in: STEPHAN LUDWIG ROTH, Gesammelte Schriften und Briefe. 7. Bd. Hersg. Otto Folberth, Berlin, 1964, 115-116.
Du moment que Saxons et Roumains s’allient à la contre-révolution, leurs dissensions sont comme éclipsées. Deux tendances se profilent dans la politique saxonne. La première se propose de transformer la Transylvanie en une confédération de quatre nations, de quatre territoires autonomes, chacun des quatre étant représenté à égalité au sein du gouvernement provincial. Ce programme est lancé début octobre par l’assemblée municipale de Nagyszeben. D’autre part, tournant le dos aux traditions historiques transylvaines, les Saxons sont toujours plus nombreux à vouloir rejoindre la tendance contrerévolutionnaire qui implique la germanisation et une forte centralisation. Ceux-ci revendiquent une autonomie territoriale saxonne, membre à part entière de la monarchie, qui serait subordonnée au seul ministère impérial de Vienne.
La Terre saxonne se transforme bientôt en base d’actions militaires de la contre-révolution. Début octobre, Puchner concentre ses soldats autour des villes saxonnes. A l’en croire, ce serait pour une démonstration de forces de nature à soutenir la population roumaine face au gouvernement hongrois. Mais il entend, en réalité, repartir de là, au nom de la paix et de l’ordre, pour «sauver» (c’est-à-dire conquérir) la Transylvanie précipitée dans le gouffre de la guerre civile.
Le retrait des soldats du contingent des comitats ne fait qu’échauffer les esprits. Ayant échoué, comme on l’a vu, dans sa politique de compromis et de concessions, la direction hongroise de la Transylvanie entend briser la résistance des communautés paysannes en envoyant sur elles des volontaires et des gardes nationaux hongrois, et en faisant juger en cour martiale et exécuter plusieurs émeutiers roumains tombés entre ses mains. Elle cherche à affaiblir ainsi les forces du commandement militaire impérial tout en se refusant à combattre directement l’ennemi principal (qui s’abrite derrière le bouclier vivant de la paysannerie insurgée), tant que celui-ci n’attaquera pas ouvertement. Les prétentions nationales roumaines et saxonnes, qui s’appuient sur une collaboration avec l’armée impériale, sont considérées par l’opinion progressiste hongroise comme les instruments des forces réactionnaires qui visent à anéantir et la constitutionnalité et le développement national hongrois. En les combattant, on est conforté par la foi que la lutte pour la constitutionnalité hongroise s’inscrit dans le courant des mouvements de libération nationale européens. «Que nos discours secouent l’âme du monde, et si notre nation est vouée à mourir – ce que nous n’avons nulle raison de croire –, mourons 484glorieusement en héros de la liberté européenne», écrivait, à la mi-septembre, le journal radical hongrois de Kolozsvár.*
DÁNIEL DÓZSA, Hazafiak! (Patriotes!), Ellenőr, 14 sept. 1848, n° 74.
Prête à engager la lutte défensive, l’opinion hongroise attend de la mobilisation en Terre sicule le tournant favorable. L’Assemblée nationale, dès la mi-septembre, soustrait les Sicules à l’autorité du haut commandement militaire et dissout l’organisation des gardes-frontières. Neuf commissaires du gouvernement sont dépêchés sur les lieux pour appliquer la loi et recruter des volontaires. L’un d’eux, László Berzenczey, député de Marosszék, convoque, en dépit de la réprobation des milieux dirigeants hongrois locaux, les Hongrois de la Terre sicule, pour le 16 octobre à Agyagfalva, lieu de rassemblement ancestral des Sicules. Tous les hommes capables de porter les armes sont tenus de s’y rendre selon la vieille coutume, «sous peine de décapitation et de confiscation de leurs terres», afin de «reconquérir l’ancestrale liberté de la nation sicule». Ils sont quelque 60 000 à s’y rassembler. Après Balázsfalva, voici donc Agyagfalva qui s’érige en théâtre d’une autre manifestation populaire nationale de nature à donner de l’aplomb aux dirigeants des mouvements nationaux antagonistes. Les participants se sentent, à juste titre, acteurs de la révolution européenne. La tribune de l’assemblée est pavoisée de drapeaux hongrois et, en guise de symbole de l’engagement pour l’égalité sociale et la lutte d’autodéfense hongroise, un «chapeau Kossuth» est planté sur le mât, d’autant que Kossuth vient d’appeler les Sicules, dans un manifeste du ro octobre, à l’insurrection massive contre les «traîtres à la patrie». L’assemblée prête serment à la royauté constitutionnelle et la nation sicule remercie «Lajos Kossuth, premier grand héros de la liberté constitutionnelle hongroise», ainsi que les étudiants et les intellectuels révolutionnaires de Vienne qui ont défendu, face aux intrigues de la camarilla de Vienne, «non seulement la liberté conquise par le peuple autrichien, mais aussi la Constitution de la Hongrie …».*
Protocole de l’assemblée sicule d’Agyagfalva. L. KÖVÁRI, Okmánytár … 98.
Les commissaires du gouvernement recommandent que la plupart des Sicules rentrent chez eux afin de s’y préparer à la lutte. Seul Berzenczey, malgré l’avis contraire de la majorité, prône l’action armée immédiate. Mais, quand il y est donné lecture de l’ordre secret que Latour, le ministre autrichien de la Guerre a adressé le 3 octobre à Puchner pour l’inviter à l’attaque, ainsi que des différents rapports sur les mauvais traitements infligés aux Hongrois dans les comitats et quand monte la rumeur selon laquelle Urban aurait investi Marosvásárhely, la foule prend la décision de passer immédiatement, ensemble à l’attaque. Les Sicules ne sont pas encore partis que Puchner déclare, le 18 octobre, qu’il prend, provisoirement, le pouvoir suprême au nom de l’Empereur.
La direction hongroise de Transylvanie ne voulait pas endosser la responsabilité d’avoir déclenché la guerre civile. Elle décline désormais cette responsabilité à juste titre. «Nous respectons votre nationalité, votre langue et votre religion», dit un manifeste que l’assemblée a adressé «aux frères saxons et roumains».*
Publié dans: Erdély szabadságharca. 1848-49 a hivatalos iratok, levelek és hírlapok tükrében (La guerre d’indépendance de la Transylvanie. 1848-49 à la lumière des documents officiels, des lettres privées et des journaux). Réunis par GYÖRGY BÖZÖDI, Kolozsvár, 1945, 52.
Les dirigeants roumains répondent à la bonne parole par la bonne parole et à la menace par la menace. «Exterminer l’ennemi susceptible de nous nuire», 485tel est leur mot d’ordre, et les passions ne sont pas près de s’apaiser malgré leur vœu pieux disant que: «faute de défendre les mêmes idéaux en matière de droits politiques et de liberté, reconnaissons du moins mutuellement le principe d’humanité».*
Publ. par L. KÖVÁRI, Okmánytár… 102.
Puchner avait fort surestimé les forces du gouvernement hongrois stationnées en Transylvanie. Afin d’assurer sa supériorité, il entend faire appel à l’insurrection générale du peuple. Il attend de l’intelligentsia roumaine de Transylvanie la mobilisation de 195 000 Roumains dans l’armée territoriale. Pour organiser la collaboration entre l’insurrection populaire et le commandement militaire, il met sur pied un Comité de pacification – dont le nom masque des desseins tout à fait contraires – composé de Roumains et de Saxons et ayant à sa tête, pour éviter tout malentendu, un de ses propres généraux.
Dans un premier temps, les deux Eglises roumaines, malgré la participation d’un assez grand nombre d’ecclésiastiques, restèrent en dehors de l’action. Mais les deux évêques roumains durent eux aussi prendre position. Le catholique uniate Leményi continue à soutenir le gouvernement hongrois. Aussi se voit-il destitué (tout à fait illégalement) par le haut commandant qui fait aussi écrouer plusieurs chanoines de Balázsfalva qui s’étaient solidarisés avec Leményi. En revanche, l’évêque orthodoxe Şaguna, qui vient de rentrer de Pest (et que les hommes d’Etat hongrois avaient en vain sollicité d’éditer une pastorale destinée à apaiser le peuple), invite, sous la pression de Puchner, ses ouailles à obéir à l’ordre impérial.
L’armée impériale se propose tout d’abord de désarmer les gardes nationales hongroises. Alors que dans le Sud, Puchner engage surtout les troupes du contingent, ne serait-ce que pour des considérations stratégiques, au nord de la ligne Nagyszeben-Arad et jusqu’à Kolozsvár, il confie cette tâche de désarmement aux troupes territoriales roumaines. Cette répartition des rôles dissimule des considérations politiques: si l’on réussit à rendre, par des incidents plus ou moins importants, insurmontables les antagonismes entre les peuples et les nationalités de Transylvanie, l’armée pourra, en alléguant la nécessité de mettre fin à la guerre civile, jouer le rôle, incontestablement moins ingrat, de pacificateur. Un exemple en est la mobilisation, contre les quelque cent-cinquante gardes nationaux hongrois de Gyulafehérvár, de la paysannerie roumaine des environs, alors que cette ville était située au pied du seul château-fort puissant et bien armé de canons de la Transylvanie. Après le premier accrochage, l’armée dut s’entremettre entre les Roumains et les Hongrois devant être ramenés à l’obéissance de l’Empereur. Le 20 octobre, à Kisenyed, les paysans roumains assiègent et prennent d’assaut, au bout de deux jours, une grande gentilhommière où une centaine de nobles s’étaient réfugiés avec leurs familles. L’armée ne tente même pas de s’interposer et elle n’empêche pas le massacre de plus de cent personnes. La direction militaire a aussi confié à l’insurrection populaire roumaine le soin de désarmer les gardes nationales hongroises de la ville de Zalatna ainsi que des villages des vallées du comitat de Alsó-Fehér, alors qu’il était notoire que les dissensions s’y étaient depuis bien longtemps envenimées. Plusieurs centaines de Hongrois – notamment des mineurs – tombent victimes de la tuerie.
Tous les motifs des mouvements paysans sont présents dans l’insurrection populaire pro-Habsbourg. Les foules agissent avec passion, comme si elles 486voulaient faire table rase de tout ce qui peut rompre l’équilibre idéal du mode de vie paysan et empêcher le retour d’un paradis perdu évoqué dans les sermons et les prières. Parfois, elles entendent seulement détruire tout ce qui constitue une entrave à l’existence décente. Et quand l’appel de l’Empereur s’avère insuffisant pour mobiliser le peuple de tel ou tel village, comme c’est le cas dans la région de Kolozsvár où les autorités du comitat demandent aux paysans de prêter serment au roi et au gouvernement hongrois, on recourt aux menaces et à la propagation de fausses nouvelles. Des tracts sont distribués qui menacent de servage à perpétuité ceux qui n’entreraient pas en campagne, et de la vengeance des Russes ceux qui ne se lèvent pas contre les Hongrois. Colère et détermination se doublent de peur et de terreur. Ainsi, lors du désarmement des gardes nationaux hongrois, quand on est sur le point de s’entendre, c’est probablement la peur qui fait appuyer quelqu’un sur la détente (les deux parties s’en rejetteront naturellement la responsabilité l’une sur l’autre), déclenchant ainsi une tuerie. Les foules sont souvent mues par la peur, notamment lorsqu’elles cherchent à exterminer leurs ennemis jusqu’au dernier homme, afin de ne pas avoir à craindre la vengeance et de ne laisser à personne la possibilité d’une revanche sicule.
Il est vrai que la vengeance des Sicules est trop souvent brandie. Et le mouvement des Sicules a beaucoup perdu de ses intentions et objectifs dignes d’une autodéfense révolutionnaire. Le campement d’Agyagfalva est divisé en quatre parties et mis en route dans quatre directions. Un assez grand nombre d’officiers – fût-ce sans but précis, ou pour discréditer la cause de la résistance révolutionnaire, ou encore pour défendre les intérêts des seigneurs terriens et donner un exemple – lâchent leurs troupes qui se démoralisent en raison d’une direction militaire délibérément mauvaise et à la suite des déprédations, et qui prendront la fuite au premier contact avec l’armée impériale régulière.
Les troupes parties en campagne contre Urban remportent d’abord plusieurs victoires, mais finissent bientôt par rendre leur succès fort douteux. Les unités sicules du «siège» de Csík traversent Marosvásárhely, des cierges allumés à la main et chantant des psaumes avec une piété de croisés. Ils balayent tout simplement les insurgés d’Urban mais, à partir de là, ils mettent à feu et à sac la bourgade saxonne de Szászrégen et, dans la bagarre suscitée par le pillage, ils sont plus nombreux à tomber que sur le champ de bataille.
Au cours de 1848, les Sicules surprennent à deux reprises: la première fois par leur lâche fuite après la mise à sac de Szászrégen devant quelques coups de canon de l’armée régulière impériale, aux abords de Marosvásárhely, la deuxième fois par leur héroïsme marqué d’abnégation: le peuple de Háromszék défend avec succès la cause nationale hongroise jusqu’à la fin de l’année.
Puchner avait commis une faute grave en exigeant de Háromszék une reddition inconditionnelle, car la précarité de la situation n’a eu d’autre effet que de cimenter l’unité de la société. La direction militaire locale, qui s’était montrée impuissante au début de l’automne, se ressaisit et s’avéra opérationnelle sous le contrôle des assemblées populaires et rurales influencées par les radicaux. Puchner déplorera à juste titre que «le Háromszék a immobilisé, au moment le plus décisif, la moitié de mes troupes».* Ainsi la résistance de ceux de Háromszék marque un temps fort des succès de la guerre d’indépendance 488hongroise: elle a empêché les forces autrichiennes de Transylvanie de mettre le cap sur l’Ouest et d’attaquer au moment opportun les territoires centraux de la Hongrie. Ce fait d’armes n’est nullement terni par l’incapacité des autres troupes hongroises de Transylvanie à opposer une résistance sérieuse avant de se replier en Hongrie sans livrer aucun important combat.
Rapport de Puchner au ministre de la Guerre Cordon, Nagyszeben, 27 février 1849. Feldakten ACS 145. Fasc. 2/33.

487Carte 19. Les opérations militaires de Transylvanie entre le 18 décembre 1848 et le 9 février 1849
Dès la seconde quinzaine de novembre 1848, la Transylvanie, à l’exception de Háromszék, tombe sous la férule de la dictature militaire autrichienne, les fonctions du pouvoir civil étant dans une certaine mesure remplies par le mouvement national roumain. Les paysans roumains sont prompts à coller l’étiquette de «gubernium roumain» au Comité national roumain reconstitué à Nagyszeben, quand ils saisissent de leurs affaires les «seigneurs roumains» qui y siègent. Entre-temps, l’intelligentsia roumaine se voit subordonner immanquablement au commandement militaire autrichien. Les chefs des troupes d’insurgés ont à obéir, dans l’accomplissement des tâches militaires planifiées, aux officiers de carrière placés à leur tête. Tout en étant contraint de transmettre sans broncher les ordres de Puchner, le Comité se met à réaliser son programme formulé déjà dans les revendications de Balázsfalva. Mais il n’ose pas se prononcer catégoriquement sur les principes à suivre dans la démarcation des terres censières et des francs-alleux, et dans le contentieux qui oppose les seigneurs terriens et les paysans, il remet à plus tard la décision définitive. Il considère comme sa tâche première de remettre sur pied l’administration. Le vieux découpage en comitats reste pour l’essentiel inchangé. Puchner se réserve le droit de placer à la tête des comitats et des régions des administrateurs investis de pouvoirs encore plus étendus que n’en possédaient les anciens comes. Ce sont, pour la plupart, des officiers à la retraite, d’origine roumaine. Puchner place sous leurs ordres un ou deux intellectuels: avocats ou prêtres. Les autres responsabilités reviennent à des dignitaires élus, compte tenu, en général, de la proportion numérique des nationalités. Sur ce point, les Roumains se montrent tout aussi mesquins que l’ont été les Hongrois, quoique certains d’entre eux se conduisent avec une plus grande équité.

 

 

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